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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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célibataire dans les mêmes
sentiments, un jeune couple de journalistes du Figaro qui
veulent le lancer, etc. —, et qu'il fréquente tous les
lieux où je l’ai introduit pour déverser sur moi
des ordures. Selon sa version, il a dû s'enfuir parce que je ne
supportais pas d'être éclaboussé par son génie,
que j'avais compris à cause de lui que je n'étais qu'un
surréaliste de troisième zone et que, en retour de mes
cours et de mes services, je voulais lui faire payer le prix fort, le
forcer à épouser ma fille. Je ne vous répète
pas comment il osait, à cet
endroit de son récit, médire sur Sophie car c'est
tellement ignoble que je ne peux y songer sans avoir envie de le
frapper.
    Comment
expliquez-vous Caïn, chère Lucie ? Et le baiser de Judas
? Le traître me déconcerte et me fait perdre pied. Abîmé
dans la souffrance depuis cet incident, j'essaie de trouver une
logique au comportement d'Heinrich. Je veux comprendre. Comprendre
non pas pour justifier. Comprendre non pas pour cesser de condamner.
Comprendre pour moins souffrir. Le mal est un mystère plus
profond que le bien car, dans le bien, il y a une lumière, un
dynamisme, une affirmation de la vie. Comment peut-on choisir
l'obscur ?
    Votre
fidèle et désemparé

    ADOLF
H.

    Les
Russes se tenaient désormais aux portes de Berlin.
    Depuis
la chancellerie du Reich, on entendait le grondement continu des
tirs.
    Les
avions anglais bombardaient la ville sans répit. Aux heures où
elle était rendue au soleil et au silence, la capitale ne
ressemblait plus qu'à un vieil entrepôt de décors
pour opéra de province ; des fiers et hauts immeubles ne
restaient qu'un pan, une façade ou un mur couvert de
tapisseries différentes selon les étages, sans qu'un
seul plancher demeurât ; des éclats de vie intimes
pendaient çà et là, suspendus au-dessus du vide,
un lavabo, un portemanteau, une coiffeuse agrippée à
ses vis, un tableau d'ancêtres désormais sans
descendants. Au-dessus.des gravats et des amoncellements, on ne
voyait plus que les accessoires de ces existences interrompues. Les
bombes semblaient avoir fait un travail d'effraction, de voleurs et
laissaient un fumet archaïque de saccages et de viols
collectifs.
    Hitler
ne vivait plus que sous terre.
    Revenu
à Berlin — pouvait-il aller ailleurs puisque l'étau
se resserrait ? Les Russes progressaient à l'est et les Alliés
à l'ouest —, il n'avait retrouvé que les ruines
du palais néobaroque qui avait servi de chancellerie depuis
Bismarck et seulement quelques murs de la nouvelle chancellerie
conçue par Speer, ses appartements ayant été
déchirés par des bombes incendiaires. Du coup, il avait
rejoint le bunker, un abri antiaérien construit en 1943 dans
les jardins, un labyrinthe claustrophobique de béton brut
auquel on arrivait après une volée d'escaliers
épuisants, une taupinière dotée d'un éclairage
chiche et vacillant grâce à un groupe électrogène
au diesel qui empestait les couloirs peu chauffés et
difficilement aérés, une sorte de tombeau où le
Führer était entré vivant.
     Pas
de solution politique, pas de négociations, je ne capitulerai
pas. Je combattrai aussi longtemps que j'aurai un soldat. Lorsque le
dernier soldat me laissera tomber, je me tirerai une balle dans la
tête. Par ma seule personne, je protège l'Allemagne d'un
armistice honteux. Par ma seule personne, je préserve
l'Allemagne de la catastrophe.
    La
plupart des Allemands pensaient l'inverse : par sa seule personne,
Hitler les entraînait dans l'apocalypse. Un homme politique
soucieux de la santé de son peuple, des villes et des
installations industrielles, aurait déjà négocié
pour arrêter la destruction ; il aurait pris la honte sur lui
et aurait évité des centaines de milliers de morts
civils et militaires supplémentaires.
    Hitler,
lui, avait ordonné à Speer de détruire les
ponts, les autoroutes et les complexes industriels : l'ennemi ne
devait s'emparer que de terres brûlées. Pour la première
fois, Speer n'avait pas obéi, soucieux que l'Allemagne pût
vite relever la tête après la défaite et déjà
ambitieux pour lui-même dans le Reich d’après le
Führer.
    Lorsqu'on
vint annoncer à Hitler les effrayantes inclusions de la
conférence de Yalta où Churchill, R oosevelt
et Staline avaient annoncé quel traitement subirait
l'Allemagne après sa chute, il accueillit la nouvelle avec un
calme qui glaça son entourage.
     Voyez,
je vous l'avais dit.
    

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