Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
Vom Netzwerk:
simple rencontre avec l'ami de la famille.
    Adolf
en demeura étourdi.
    Ainsi
ce médecin n'était peut-être pas le charlatan
qu'il avait cru repérer ? Les indices s'accumulaient en sa
faveur : le respect affairé du docteur Bloch, l'influence
intellectuelle qu'il semblait exercer, l'affabilité de
Bernstein à l'égard d'Adolf depuis qu'il le savait lier
à Freud et puis, surtout, ce rêve ; ce rêve qu'il
avait fait, dont il se souvenait, le premier depuis des années...
    «
Si, comme je le prévois, vous recommencez à rêver,
promettez-moi de revenir. »
    Lancinante,
entêtante, toujours plus forte, toujours mieux prononcée,
la phrase du médecin tournait dans sa mémoire et lui
donnait mauvaise conscience.
    Il
prit sa décision : il y retournerait le lendemain. Il
respecterait sa promesse.
    Satisfait,
il s'endormit en se félicitant de sa loyauté. Il en
rajoutait dans les compliments qu'il s'adressait pour ne pas s'avouer
que c'était tout autant par snobisme que désormais il
se rendrait chez le célèbre médecin.
    Le
lendemain, les choses ne se passèrent pas comme prévu.
Le docteur Freud se montra très froid, comme indisposé
par son coup de sonnette joyeux, et, malgré l'enthousiasme
d'Adolf qui lui annonçait comme une victoire le fait d'avoir
rêvé, il ne lui accorda un rendez-vous que pour dix
jours plus tard.
    «
Il ne m'aime plus », se dit Adolf en sortant.
    En
fait, l’avait-il jamais aimé ?
    C'est
un Adolf docile et coopératif qui se présenta, dix
jours plus tard, dans le cabinet du docteur Freud pour lui raconter
son rêve.
Tout
va bien, mon garçon, je crois savoir ce que vous avez.
    Sigmund
s'était levé, souriant, plus détendu que jamais.
Il alluma un cigare sur lequel il tira avec volupté.
J'ai
compris pourquoi vous ne pouvez endurer la vue d'une femme nue sans
vous évanouir. Et je peux même vous annoncer une
meilleure nouvelle : dans quelques instants, sitôt que je vous
l'aurai expliqué, vous serez guéri.

    Les
rapports entre Wetti et Hitler devenaient dangereusement fréquents.
Il passait chaque jour une heure dans son salon étriqué.
Après avoir bu le thé à l'orange et mastiqué
les gâteaux au gingembre, Hitler sortait son carton à
dessin, s'installait au bout de la pièce, à distance du
modèle, et crayonnait en parlant d'art.
Si
loin, mon cher Dolferl ? gémissait Wetti, langoureuse.
Le
moustique se brûle s'il s'approche trop de la flamme,
répondait invariablement Hitler.
    Tout
aussi invariablement, Wetti, rougissante, émettait alors
quelques petits cris qu'elle prenait pour des protestations polies
mais qui devaient passer pour des aboiements préorgasmiques
auprès de quiconque traversait le couloir.
    Hitler
avait posé une règle : Wetti ne devait pas regarder son
portrait avant qu'il ne fut achevé. Il avait beau s'appliquer
à gommer, à reprendre, à gommer, à
déchirer, à reprendre, à gommer, Wetti
s'acharnait à ressembler à une guenon sur son croquis.
Pour impressionner sa logeuse, il la noyait de paroles, l'accablant
avec ses théories sur l'art, se contredisant d'ailleurs d'un
jour sur l'autre mais, peu importe, Wetti était sensible au
fait qu'on lui parlât d'art — une conversation élevée
digne d'une femme du monde — et elle n'écoutait pas le
quart de ce qu'il lui disait.
    Souvent,
avec des airs mystérieux, elle lui promettait de lui faire
connaître « ses garçons », « un jour
», « s'il était sage », « bien sage »,
comme on annonce une visite au Saint-Graal. Hitler ne parvenait pas à
savoir qui étaient « ses garçons », ni ce
qui se passait lors de ces fameux dimanches après-midi
qu'organisait Wetti.
    Enfin,
il eut droit à son carton d'invitation. Wetti le lui remit
avec une moue appuyée, q ui semblait
signifier «je ne sais pas si vraiment vous le méritez
mais je vous le donne quand même ». Puis elle repartit en
chaloupant dans l'escalier, la croupe tanguant de droite à
gauche, à droite pour provoquer les mauvaises pensées,
à gauche pour les chasser. Au demi-palier, elle s'arrêta
et dit d'une voix chaude à Hitler :
Mettez
vos plus beaux vêtements, mon cher Dolferl, « mes
garçons » sont toujours très élégants.
    Le
jour dit, à cinq heures, Hitler descendit, la gorge serrée,
au fameux thé dominical de Wetti qui semblait être
l'orgasme de sa vie sociale.
    La
pièce bourdonnait des conversations des jeunes gens, tous bien
habillés ainsi que l'avait annoncé Wetti, trop bien
habillés même, sentant

Weitere Kostenlose Bücher