La Part De L'Autre
à la longue liste de ses
défaites.
Il
persévérait incompréhensiblement. Ce n'était
plus un défi, comme au premier jour, ni un pari, comme il
l'avait cru ensuite, ni même une obsession, bien qu'il fût
obnubilé par le corps de Stella. Il s'agissait désormais
d'une émotion sourde et profonde, quelque chose de religieux.
Le plaisir féminin était sa quête, Stella était
son temple, la femme était son Dieu, ce grand silence auquel
revenaient toutes ses pensées. Comme un homme de foi
s'agenouille, il travaillait avec dévotion à obtenir la
grâce.
Nuit
et jour, il réfléchissait au plaisir. Comment
l'éprouver, il le savait. Mais le donner ? Cela ne semblait
pas contagieux.
Pendant
un cours à l'Académie, il eut un éblouissement.
Stella devait ressentir du désir pour jouir. Son plaisir
n'avait rien d'organique, il n'appartenait plus à l'espèce.
Adolf devait provoquer en elle un désir de lui.
Adolf
comprenait soudain l'effet qu'il devait faire à Stella : un
crabe vautré sur elle, en stupide état d'excitation,
convulsif, agitant ses pinces dans le vide, un crabe qui lui était
indifférent.
Ce
lundi-là, il proposa à Stella de ne pas se rendre à
l'hôtel mais d'aller boire un chocolat ensemble. Il fut surpris
de la voir accepter sans barguigner. Ils devisèrent
joyeusement, loin de leur guerre en costume de singe, ils s'amusèrent
même. Le mardi, il proposa d'aller écouter un concert ;
elle accepta aussi. Le mercredi, il l'invita à une promenade
au zoo ; une fois encore, elle consentit, mais il y eut quelque chose
d'inquiet dans son regard. A l'issue de la visite, elle lui demanda
alors qu'ils se quittaient :
N'irons-nous
plus à l'hôtel ?
Pour
la première fois, elle osait montrer une défaillance :
elle craignait qu'Adolf ne voulût plus d'elle.
Si,
plus que jamais, répondit-il avec un regard lourd d'attente.
Rassurée,
elle se recomposa un visage ironique.
Le
jeudi, Adolf observa à la lettre le plan qu'il avait ordonné.
Il se leva à l'aube, s'épuisa et marcha toute la
journée, si bien que lorsqu'il rejoignit Stella dans la
chambre d'hôtel, très fatigué, il fut incapable
d'accomplir ses performances habituelles.
Excuse-moi,
je ne sais pas ce que j'ai, commenta Adolf pour achever de la
perdre.
Tu
es fatigué ?
Non.
Pas plus que d'habitude.
Le
vendredi, Stella et lui devaient se retrouver à cinq heures. A
l'heure dite, il se dissimula dans le café d'en face, vérifia
que Stella entrait bien dans l'hôtel et attendit. A six heures
et demie, il fit le tour du pâté de maisons en courant
et en respirant mal afin d'arriver essoufflé dans la chambre.
Stella sursauta en le voyant.
Où
étais-tu ? J'étais inqui...
Elle
se retint d'avouer son inquiétude ; il n'y avait plus lieu ;
puisqu'il était là désormais.
J'ai
été retenu à l'Académie. Le directeur.
Rien de grave. J'aurais voulu te prévenir. Je... je suis
désolé.
Non,
ça va, dit-elle d'un ton sec.
Après
l'inquiétude, la fureur désormais la faisait
bouillonner. Et elle s'en voulait de se découvrir si émotive.
Tu
es trop gentille de m'avoir attendu. C'est moi qui paierai les deux
heures de la chambre.
Il
s'agit bien de cela, coupa-t-elle.
Nous
essaierons de faire mieux la semaine prochaine.
Quoi
? Tu pars ?
Furieuse,
elle l'attrapa par le col et le jeta sur le lit.
Tu
n'as plus envie ?
Si
bien sûr.
Prouve-le.
Mais
une demi-heure, Stella, une demi-heure, ce n'est pas assez.
Qui
t'a dit ça ?
Oh
pour moi ça va, mais pour toi, Stella...
Je
ne m'appelle pas Stella mais Ariane.
Et
elle commença à le déshabiller.
Quelques
secondes, Adolf eut envie de rire, comme le spectateur qui voit
arriver sur les planches la scène qu'il attendait depuis le
début du spectacle, mais le désir puissant que Stella
avait de lui le renversa. Pour la première fois, une force
fondait sur lui, elle l'accaparait, le possédait. Il avait
l'impression de devenir lui-même une femme.
Tout
devint très sérieux entre eux. Pire. Tragique.
Quelque
chose de grand les redressait. Ils jouaient une scène
essentielle. Leurs corps réagissaient. De brusques effusions
passaient de l'un à l'autre. Des émotions extrêmes
leur travaillaient la peau. Une sorte de communication, sans cesse
interrompue, sans cesse reprise, les électrisait. Des
étincelles de connivence. Chacun voulait faire sien le sexe
inconnu et méprisé de l'autre. Ils se rapprochaient
sans se joindre. Ils se fondaient sans se perdre. Ariane-Stella
frémit, puis fut
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