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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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ville, le superflu, ce sont des femmes qui ne nous
méritent pas. Ce sont des femmes qui cherchent une rente, pas
un amant. Un artiste comme toi ne doit pas tomber dans ce piège.
As-tu été heureux avec ta Wetti ? Franchement ? Est-ce
qu'elle ne te tirait pas vers le bas ? Mmm ? Tout ce qu'elle voulait
c'était la façade, de quoi se vanter devant ses amies,
rien d'autre. Est-ce que tu pouvais lui communiquer tes doutes ?
Quels ont été ses derniers mots ? Te réclamer de
l'argent ? Elles sont presque toutes comme ça. Sauf la vraie,
l'unique, l'inespérée, celle que tu rencontreras
peut-être, que le destin te réserve, mais ne t'en fais
pas, celle-là, elle te reconnaîtra. Même sous un
tas d'ordures, elle te reconnaîtra. Celle-là, tu la
mérites, elle te mérite. Les autres, oublie-les toutes.
Si tu as besoin d'une femme, elles font le trottoir pour nous ; elles
nous guettent dans le bordel. Elles t'attendent jour et nuit, Hitler,
tu m'entends, jour et nuit. Tu donneras un billet, tu monteras et tu
seras débarrassé de ta crampe, au revoir. Plié.
Propre. Rangé. On dégage. Ton art, seul ton art compte
; toute ton énergie doit y être consacrée. Fameux
ce saucisson ! Où est-ce qu'on l'a piqué déjà
? Faudra y retourner. Qu'est-ce que je disais ? Ton art. Rien que ton
art. Les gens, c'est moi qui les affronterai ; je les interpellerai,
je les agripperai, je leur ouvrirai les yeux sur tes œuvres, je
les forcerai à les acheter, je me taperai tout le sale boulot
pour que toi, dans ta noble solitude, dérangé par rien,
tu puisses créer. Rien que créer. Je t'envie, Adolf
Hitler. Oui, je t'envie d'être qui tu es et d'avoir un ami
comme moi. Tu te fous de tout, tu n'aimes personne — pas même
moi qui te vénère —, tu as les yeux fixés
sur ton idéal et tu accomplis l'art. Je t'en voudrais si je ne
t'aimais pas. Je t'en voudrais si, misérable cloporte, je ne
me dévouais pas à toi. Où est le vin ? Ah putain
qu'il est rance ! Tiens, j'ai piqué des cartes postales tout à
l'heure, ça te fera des idées. Faut pas se cacher la
vérité, c'est l'été, c'est la meilleure
saison pour nous. Non, faut y aller. Ne te retiens pas. Tu peux
t'épanouir sur les grands formats dont tu as toujours rêvé,
Gustav Klimt, à condition, bien sûr, que ce soit
Belvédère ou église Saint-Charles, hein ? Tes
tableaux voyageront dans le monde entier ; il y en a déjà
qui sont accrochés à Berlin, Amsterdam, Moscou, Rome,
Paris, Venise, New York, Chicago, Milwaukee. C'est incroyable, non ?
Bon, on est bien à l'ombre ici, je crois qu'il serait temps de
faire une petite sieste. Non, tu travailles déjà ? Tu
as raison. Non, c'est que moi, tu comprends, je ne suis qu'un
bonhomme ordinaire, je n'ai pas de mission, de passion, de... enfin,
tout ce dont, toi, tu brûles. Je ne suis qu'un cloporte, moi,
Adolf Hitler, un misérable cloporte. Alors une petite sieste
avant d'aller gueuler sur les boulevards, ça me paraît
nécessaire... Surtout avec cette chaleur... Quoi, monsieur
l'agent ? Quoi les pelouses ? Les oiseaux peuvent s'y promener, les
chiens peuvent y pisser mais les humains n'ont pas le droit d'y
dormir ? On est dans un pays fibre, oui ou non ? Merde.

    L'amour
des êtres mûrs pour les êtres jeunes se nourrit
soit de haine, soit de bonté. Stella, à la suite d'une
fausse manœuvre, était passée de la haine à
la bonté.
    Ils
reposaient l'un dans l'autre, nœud de chair et de tendresse, au
centre de cette chambre infecte, nauséabonde, cernés
par les murs criards et délavés, menacés par le
lustre borgne qui tremblait aux coups furieux du couple illégitime
qui avait loué pour une demi-heure la pièce équivalente
à l'étage supérieur. Adolf H. et Stella se
taisaient mais leur silence était bien plein, craquant.
    Adolf,
lui, jouissait d'un bonheur rare qu'il ne savait pas encore éphémère
: être un jeune homme dans les bras d'une femme mûre,
c'est-à-dire pouvoir passer continuellement de l'état
d'homme à l'état d'enfant, se faire respecter comme
amant vigoureux et se faire pardonner ses petites maladresses. Avec
avidité, il écoutait Stella lui raconter sa vie ; elle
était riche d'expériences qu'il n'avait pas ; elle
avait connu beaucoup d'hommes ; elle portait des regards de femelle
sur les mâles.
    Le
client de la chambre supérieure poussa un hurlement de goret,
la femme aussi — un cri où entrait sans doute plus de
soulagement que d'extase — et les deux corps s'abattirent

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