La Part De L'Autre
faisait un soleil réconfortant, on
attendait quatre trains importants et Hitler se lançait, pour
la première fois, dans la reproduction d'un grand format, une
photo trouvée dans un journal, le sanatorium construit par
Joseph Hoffman à Pinkensdorf, un bâtiment cubique et pas
trop difficile à rendre. Hitler était si occupé,
entre ses voyageuses et son dessin, qu'il ne remarqua à aucun
moment la silhouette immobile, qui, trois quais plus loin, l'observa
du matin jusqu'au soir.
Ce
fut seulement vers sept heures que la silhouette s'approcha d'Hitler,
qu'il releva la tête et qu'il découvrit Wetti.
Son
visage tremblait de fureur. En une journée, elle avait eu le
temps de passer par tous les sentiments, de la surprise à
l'incrédulité, puis l'indignation, la déception,
la honte, la révolte... A sept heures, elle en était à
la colère et, pour cette raison même, avait fondu sur le
garçon.
Dès
ce soir, je ne veux plus te voir dans mon salon. Et dès la
fin de la semaine, tu disparais de ma pension.
C'était
effrayant de constater à quel point Wetti devenait
pragmatique. C'était si loin de son caractère rêveur
que cela montrait l'ampleur du choc en elle.
Et
je te signale que tu me dois un mois et demi de loyer.
Sa
bouche se tordit, agacée, piquée par la douleur.
Et
sois heureux que je ne compte pas les repas, les lessives, les
repassages, la couture, toutes les idioties que j'ai faites pour toi
parce que je croyais... parce que je croyais...
Son
grand corps fut secoué de convulsions qui transportaient les
larmes, mais elle résista.
Parce
que je croyais…
Hitler,
paralysé, craignait ce qu'elle allait dire.
Parce
que je croyais... parce que je croyais...
Les
mots, affolés, couraient sous le front d'Hitler. Certains
transportaient avec eux leur réponse, d'autres pas. « Je
croyais que tu m'aimais » était le plus aisément
traitable. « Je croyais que tu étais à l'Académie
» pouvait se guérir par un mensonge. « Je croyais
que, lorsque tu serais célèbre, tu m'épouserais... »
serait plus délicat.
Parce
que je croyais que tu étais un peintre, finit par exploser
Wetti.
Non.
Pas ça. Pas elle. Pas elle aussi. Rien à répondre.
Je suis un peintre. Et là, en ce moment, qu'est-ce que je suis
en train de faire ? Justement,
Wetti laissa traîner son regard sur la photo de journal et le
calque crasseux.
Tu
es... grotesque.
Elle
tourna les talons et s'enfuit de la gare. Elle avait réussi à
ne pas pleurer. Le mépris avait retenu les larmes. Elle avait
su rompre dans le dédain, sans pathétique : c'était
donc lui qui était ridicule. Le cœur battant, écroulée
contre un pilier, soulagée, elle éclata en sanglots
dans l'un de ses beaux mouchoirs trop richement brodés.
Hitler
restait assis au sol, son matériel entre les jambes, le visage
cireux. Pour ne plus songer à l'horreur qu'elle avait
prononcée — « Je croyais que tu étais un
peintre » —, il accablait d'insultes cette grande poule
démesurée, encombrée de son corps, incapable de
lire un livre, ne fréquentant que des homosexuels, cette
boutiquière frustrée, qui ne savait même pas qui
était Gustav Klimt avant qu'il ne le lui apprît et qui,
maintenant, se permettait d'émettre des jugements artistiques.
Il lui devait un mois et demi de loyer ? Dommage qu'il ne lui doive
pas plus. Car il allait partir ce soir sans le payer.
Hitler
avait retrouvé toutes ses forces. Qu'on ne s'illusionne pas :
c'est lui qui allait prendre l'initiative pour mettre fin à
une situation intolérable ! Il rompait !
A
dix heures trente, il avait empaqueté ses affaires. Il
descendit avec précaution au rez-de-chaussée, devant
l'appartement de Wetti.
Malgré
le rideau qui couvrait les petits carreaux de la double porte, on
percevait que le salon devait être allumé. Hitler
entendit des gémissements.
Je
suis déçue... si déçue..., marmonnait,
assourdie, la voix humide de Wetti.
Allons,
Wetti, je vous avais prévenue, vous n'aviez pas voulu me
croire, vous avez attendu... alors maintenant, vous souffrez trop.
Oh,
Werner !
Piqué,
Hitler se redressa. C'était donc cette immondice de Werner qui
avait insinué le doute en Wetti.
Très
vite, ma chère Wetti, j'ai demandé à ce
garçon... enfin vous savez... cet ami... qui, lui, est
réellement étudiant à l'Académie, s'il y
avait bien parmi eux un Adolf Hitler. Il m'a assuré que non.
Révoltant.
Voilà à quoi s'occupait ce Werner depuis qu'Hitler
avait repoussé ses avances
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