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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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à
grand fracas sur le sommer. Le lustre frémit de tout son faux
cristal. Adolf et Stella éclatèrent de rire.
    Aucun
râle ne se comparait aux leurs. Aucun baiser n'avait la
profondeur des leurs. La qualité de leur relation annulait la
contagion de la laideur. Aucun rapport. Ils vivaient sur le mode de
l’« aucun rapport ». Quoi qu'il se produisît
autour d'eux qui ressemblât un tant soit peu à de
l'amour, cela n'avait « aucun rapport ».
Je
dois rentrer, murmura Stella.
    Elle
avait même accepté de s'appeler Stella — comme
l'enseigne de l'hôtel borgne — car Adolf l'avait toujours
désirée sous le nom de Stella.
Oui,
il faut que je rentre.
    Elle
n'avait pas bougé. Adolf non plus. Délicieux moment où
l'on profite pleinement de ce que l'on va perdre. Moment de bonheur,
enrichi de la nostalgie du bonheur.
Allons.
    Elle
bougea une jambe. Adolf la couvrit de son corps pour la retenir et
l'immobilisa. Il bandait déjà. Elle aussi avait envie.
Pendant quelques minutes, fidèles à un rite qu'ils
avaient institué, ils firent mine de refaire l'amour.
Lorsqu'ils frôlèrent l'orgasme, elle glissa subitement
hors du lit car ce qui comptait c'était de se quitter
inassouvis avec au plus profond du ventre une tyrannique envie de
l'autre.
    Ils
se saluèrent devant l'hôtel Stella et chacun repartit
chez soi. Il n'avait jamais été question de
cohabitation. Ils avaient fait leurs premières armes dans
cette chambre ; de champ de bataille, elle était devenue leur
jardin, une oasis où les minutes gouttaient lentement,
différemment.
    Adolf
rentrait chez madame Zakreys. Depuis qu'il était heureux avec
Stella, il travaillait beaucoup. Une sorte de lucidité lui
avait ouvert les yeux ; il avait pris conscience de sa médiocrité
dans le dessin, de sa pauvreté de coloriste, de sa paresse
aussi. Il avait entrevu l'ampleur de sa tâche. Il devait
rattraper son retard, un fort manque d'expérience ; certains,
à l'Académie, se montraient déjà
virtuoses ; lui parvenait tout juste à être correct.
Depuis qu'il ne se faisait plus d'illusions, il se demandait même
comment il avait pu réussir l'examen d'entrée. Dans son
esprit, il était désormais persuadé d'avoir été
classé dernier ; certains jours, consterné par ses
travaux, il soupçonnait même une erreur : pour le faire
rentrer, on avait dû lui comptabiliser les notes d'un autre.
Enfin, peu importait. Il se rendait compte qu'il avait eu beaucoup de
chance d'être admis ; par son sérieux et son acharnement
sans complaisance, il tâchait maintenant de mériter
cette chance.
    En
fréquentant Bernstein et Neumann, il avait aussi mesuré
son indigence culturelle. Ces garçons-là lisaient ; lui
relisait. Ces garçons-là réfléchissaient
; lui rêvassait. Ces garçons-là discutaient ; lui
s'enflammait. Entre l'excitation et l'apathie, il ne connaissait pas
de moyen terme mental. Jusque-là, il n'avait jamais analysé,
étudié, pesé, contrebalancé, argumenté.
    Pourquoi
découvrait-il tout cela en même temps ? Un bouchon avait
sauté dans son cerveau, libérant un canal, l'irriguant
diversement. Il n'était plus confiné en lui-même,
il s'était ouvert à la dimension des autres. En amour,
il avait dépassé son plaisir pour entrer dans la
dimension du plaisir partagé. En intellectualité, il
avait quitté l'onanisme, cessé de s'entêter, pour
saisir ses limites, les repousser et entrer dans la discussion.
Toutefois, il lui était difficile de s'éloigner autant
de ses anciens réflexes. Si, pour l'amour, il avait déjà
la récompense de Stella, en art, il n'avait encore aucun
résultat ; des notes sévères sanctionnaient ses
efforts. Adolf se tenait en queue de classe et tout ce qu'il trouvait
pour s'encourager à continuer, c'était l'idée
abstraite, vacillante, qu'il se donnait aujourd'hui, par sa sueur, le
moyen d'avoir un avenir d'artiste.
    Stella,
en rentrant chez elle, trouva devant sa porte le banquier qui la
courtisait depuis des mois. Il l'attendait, un bouquet de fleurs à
la main, habillé d'un gilet ridicule, souriant sous son
horrible moustache de morse, ostentatoire et prétentieuse
comme toute sa personne. Il sourit en la voyant arriver car il était
content de se faire voir.
Voulez-vous
bien aller à l'opéra avec moi ? J'ai réservé
ensuite chez Butenhof.
    Elle
accepta en baissant les yeux. Oui, bien sûr, il pouvait lui
faire la cour. Oui, bien sûr, elle l'épouserait.
Cependant, le morse pouvait attendre. A cet âge, ça

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