La Part De L'Autre
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Hitler
suivait la main qui allait de droite à gauche, de haut en bas.
Cela produisait de douloureuse contractions de son visage. Il
grimaça.
Tout
va revenir petit à petit, ne vous inquiétez pas.
Est-ce
que je pourrai recevoir la presse ?
Oui,
mais je doute que vous arriviez à lire.
Il
le faut. Ici, je n'entends que des ragots sur la situation de
l'Allemagne. J'ai besoin d'informations.
Le
docteur Forster lui posa deux quotidiens sur son lit et s'éloigna.
Hitler constata avec dépit que les caractères formaient
une ligne continue et tangente qu'il n'arrivait pas à
déchiffrer. Il soupira d'agacement.
Camarades,
s'écria Goldschmidt, des révolutionnaires viennent
d'arriver dans cet hôpital. Il s'agit de marins qui se sont
mutinés. Nous devons leur manifester notre soutien.
Hitler
regarda ses camarades de chambrée qui s'animaient autour de
l'intervention de Goldschmidt. Tiens, il n'avait pas remarqué
avant de voir leur physique que Goldschmidt, Bruch et cet autre
efflanqué, là-bas, les trois leaders rouges de la
salle, étaient tous juifs. Quel rapport cela avait-il ?
Un
pasteur fit irruption et le silence se fit. Son visage affligé
était porteur d'une mauvaise nouvelle.
Mes
enfants, dit-il d'une voix tremblante, l'Allemagne a capitulé.
La guerre est perdue.
Un
silence prolongea ces paroles. Chaque blessé se disait qu'il
avait souffert et combattu pour rien.
Nous
devons donc nous en remettre à la merci des vainqueurs et
prier Dieu de compter sur leur magnanimité.
Ça,
c'était encore plus cruel : perdre, c'est une chose, mais
obéir à son ennemi, c'en est une autre. Un destin
d'esclave était promis à l'Allemagne.
Ce
n'est pas tout, ajouta le pasteur. La monarchie est tombée. Le
Kaiser se retire. L'Allemagne est désormais une république.
Hourra
! cria Goldschmidt.
Hourra
! renchérit Bruch.
Taisez-vous
! cria un amputé.
Si
le pasteur avait voulu ajouter quelque chose, il ne le pouvait plus :
la chambre était devenue une assemblée où les
parlementaires s'envoyaient des cultes à la figure.
Hitler,
les larmes aux yeux, pensa qu'il allait immédiatement mourir.
Il se retourna sur son oreiller et sanglota autant que pour la mort
de sa mère ou l'agonie de Foxl. L'Allemagne
ne peut pas tomber de si haut. Moi non plus.
Soudain,
l'obscurité se fit autour de lui. Il leva les mains devant
lui et les agita : il ne les voyait plus. C 'étaient
des ténèbres brun sombre, la couleur même de l 'argile
où il s'était couché pendant quatre ans, qu’il
avait défendue pendant quatre ans, embrassée quand le
bombardement se déchaînait. Il était devenu
terre, rendu à la terre. Sûr, il devait être mort.
Mes
yeux ! Mes yeux !
Il
s’était mis à hurler.
Des
infirmiers se précipitèrent pour l'empêcher de se
frapper les orbites. Le docteur Forster accourut, lui fit une piqûre
calmante et exigea qu'on le mît seul dans une petite chambre à
part.
Hitler
sombra dans un état paradoxal, une indignation interrompue
d'évanouissements. Il entendait, lointaine, sans
la comprendre, la discussion où s'affrontaient le jeune
docteur Forster et le doyen Steiner, chef de l’hôpital
militaire à Pasewalk.
Je
vous dis que c'est une réaction psychologique.
Arrêtez
de brandir votre psychologie à tout bout de champ Forster. Vu
l'ampleur de sa conjonctivite récent e, une
crise de larmes a suffi à la réactiver. Il s’agit
de la même cécité que précédemment.
Je
vous assure que non. Il s'agit cette fois-ci d'une cécité
toute différente. Le patient refuse de voir. Il veut nier que
la guerre est perdue. Il s'agit d'une cécité d'origine
hystérique. Professeur Steiner, je vous demande
la permission de pratiquer l'hypnose sur ce patient.
Je
vous l'interdis.
Mais
pourquoi ?
Je
ne crois pas à vos procédés de charlatan.
Si
vous n'y croyez pas, c'est que vous les estimez inoffensifs.
Laissez-moi donc essayer.
Non.
Mon hôpital ne sera pas transformé en baraque de fête
foraine. Vous laisserez le patient retrouver tout seul la vue.
Le
professeur Steiner claqua la porte, ne doutant pas d'être obéi.
Vieux
crétin, murmura Forster entre ses dents. Pour lui, il
s'agissait d'un conflit de générations : la
vieille garde médicale ne supportait pas les avancées
de la nouvelle et refusait tout en bloc. Il s'approcha d'Hitler qui
gémissait en se débattant
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