La Part De L'Autre
sur sa couche.
C'est
trop tentant.
Oui,
vraiment, qu'est-ce qui pouvait l'empêcher de faire ce qu'il
voulait avec ce patient ? Pas cette antique barbe de Steiner qui
devait déjà être retourné chez lui siroter
son schnaps, lui laissant, comme chaque nuit, la responsabilité
complète de l'hôpital.
Tant
pis. J'y vais. Un jour, il sera bien obligé de reconnaître
que j'ai raison.
Il
sortit son carnet où il faisait la comptabilité secrète
des malades qu'il soignait avec sa méthode, la suggestion
hypnotique. En quatre ans de guerre, il y avait déjà
noté trente-cinq noms dont il s'attribuait la guérison.
Le caporal Hitler serait sans doute le dernier avant qu'il n'allât
ouvrir son cabinet privé à Berlin.
Il
ferma la porte à clé puis se pencha au-dessus de
l’homme. Pratiquer l'hypnose sur un patient aveugle n’était
pas chose aisée. Il peinait. Enfin, après vingt
minutes, il sentit qu'il avait gagné son attention et
commençait à se faire obéir.
Levez
la main gauche.
Hitler
leva la main gauche.
Frottez-vous
l'oreille droite.
Lentement,
la main gauche d'Hitler alla chercher l’oreille droite puis la
frotta.
Très
bien. Maintenant, vous allez graver dans V otre
mémoire tout ce que je vous dis. Ce sera votre table de la loi
pour les années à venir. Si vous êtes d'accord,
baissez légèrement la tête.
Hitler
opina. Forster sentit qu'il avait établi le contact
hypnotique.
Adolf
Hitler, l'Allemagne a besoin de vous. Elle est malade, comme vous.
Elle doit guérir, comme vous. Vous ne devez plus vous cacher
la vérité, vous ne devez plus vous obscurcir les yeux,
vous devez redevenir lucide. Croyez en votre destin, Adolf Hitler,
cessez de vous aveugler et votre aveuglement cessera de même.
Retrouvez la foi, Adolf Hitler, croyez en vous. De grandes choses
vous attendent, un monde à reconstruire, une vie à
accomplir. N'hésitez plus jamais. Ne soyez jamais ébranlé
par les événements. Poursuivez votre route. Pas de
doutes. L'avenir est à vous. Au matin, je veux, quand vous
vous réveillerez, que vous ayez retrouvé l'usage de vos
yeux. L'Allemagne le veut. Vous le devez à l'Allemagne.
Il
se pencha au plus près du blessé.
Faites-moi
signe que vous avez compris. Relevez la tête.
Hitler
releva la tête.
Je
vous laisse reposer, Adolf Hitler. Je viendrai vérifier au
matin que vous m'avez bien obéi.
Il
rouvrit la porte et laissa son patient dans l'obscurité.
Après
une demi-heure, Hitler se releva brusquement sur sa couche. Il
demeura assis, dépassé par la force de
ses pensées. C'était un tumulte d'idées qui
déferlait dans son esprit, mais ce torrent lui faisait du
bien ; il avait le sentiment que tout devenait clair.
Gutmann,
Bruch, Goldschmidt... tous juifs Nous
avons perdu la guerre à cause des Juifs. Comment ne m'en
suis-je pas rendu compte plus tôt ? Ah Gutmann, je revois ton
air embarrassé quand j'ai ramassé ta kippa ; et moi,
crétin, qui ne comprenais pas ta traîtrise. La guerre a
été perdue parce que l'état-major était
plein de Juifs comme toi et qu'on ne peut pas être à la
fois allemand et juif. Nous étions commandés par des
traîtres. Ils étaient dans tous les camps, tous les
pays, ils ne croient en rien parce qu'ils sont juifs. Ils mangent à
tous les râteliers parce qu'ils sont juifs. Ils infectent notre
sang et nos nationalités. Des Juifs au front, des Juifs à
l'arrière qui prenaient d'assaut l'administration et la
politique, qui organisaient des grèves de munitions. Mais la
finance, mais l'économie ne sont-elles pas juives ? Il n'y a
de noble que la possession d'une terre. Ils y ont substitué la
Bourse et les sociétés d'actionnaires. Bien joué
! Ils ont sapé et rongé notre monde à notre
insu. Maîtres des apparences. Maîtres des masques. Oh,
Schopenhauer, pardon. Je ne comprenais pas pourquoi tu écrivais
que les Juifs sont «les maîtres du mensonge». Ils
sont doubles, allemands en apparence, juifs au fond. Pardon,
Nietzsche, pardon, Wagner ! Je n'avais pas saisi l'ampleur de votre
perspicacité... Vous auriez dû m'éclairer par
votre antisémitisme. Au lieu de cela, je me détournais
de vos haines, je les trouvais hétérogènes.
Pardon ! J'étais moi-même infecté de culture
juive, d'universalisme, d'examens critiques. Ils ont dévitalisé
l'intelligence allemande en faisant de nous un peuple de professeurs
sourcilleux, d'érudits qu'on encense dans le monde entier.
Quelle
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