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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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défaite de l'Allemagne parce qu'il
s'était identifié à l'Allemagne. Comme il
n'était pas envisageable que lui, Hitler, l'invincible, le
brave, l'énergique, le constant miraculé pût être
atteint, l'Allemagne vaincrait. Pour juger la situation, il ne
retenait que les éléments qui pouvaient alimenter sa
conviction : l'effondrement du front russe, la débâcle
italienne, et enfin sa Croix de fer de première classe, remise
le 4 août dernier par le lieutenant Hugo Gutmann, récompense
exceptionnelle pour un simple caporal. Alors ? N'était-ce pas
une preuve que la guerre progressait ?
     Dans
le bosquet, vite ! A couvert !
     Il
commençait à trouver anormal de n'être qu'un
matricule au milieu de huit millions d'hommes. Etait-il à sa
place ? Etait-il juste que lui, qui pouvait rendre tant de services à
sa patrie, fût un simple caporal au front, exposé au
geste fortuit de n'importe quel nègre d'en face ?
     Rampez
jusqu'à la lisière ! Vite !
     Il
n'avait pas remplacé son chien Foxl car il ne voulait pas
redonner à l'ennemi l'occasion de le faire souffrir autant.
     Attention
: gaz !
    L'alerte
au gaz rebondit de soldat en soldat. Gaz. Gaz. Gaz. Chacun se
protégea d'un masque.
    Les
attaques au gaz se multipliaient. On disait, dans les troupes
allemandes, que les Anglais chargeaient leurs obus d'un nouveau
produit, le gaz moutarde, une substance insidieuse qui se montrait
différemment toxique selon les individus. Chacun apprenait par
ses souffrances ce que le poison produisait sur lui. C'était
on raffinement qui effrayait.
    Hitler
avait du mal à respirer dans la poche étroite de son
masque. Il était malaisé de reprendre son souffle et de
se contenter de cette petite provision d'atmosphère plus de
dix minutes.
    A
l'avant, Hugo Gutmann profita d'une fusée éclairante
pour faire signe à ses hommes de garder leurs masques.
    Ils
étaient pris sous une pluie d'obus chargés de gaz et
l'absence totale de vent empêchait que les nappes ne se
dispersent. Les casques pointus émergeaient de cet océan
laiteux comme des poissons volants.
    Hitler
n'y tenait plus. Même en se forçant à respirer de
la façon la plus avaricieuse qui soit, il sentait son corps
manquer d'oxygène et faiblir dangereusement. Que pouvait-il
faire ? Il avait désormais le choix entre mourir d'étouffement
dans son masque ou d'empoisonnement par les gaz.
    Devant
lui, plusieurs hommes se levèrent et arrachèrent leurs
protections.
     Courez
! Fuyons les gaz ! Vite !
    Hugo
Gutmann, voyant ses hommes céder à la panique, enleva
aussi son masque pour leur ordonner de fuir ce terrain mortifère.
    Hitler
commença à s'élancer avec son masque, puis,
sentant qu'il s'asphyxiait, le jeta et galopa encore plus vite.
    Je
suis invincible. J'échappe aux balles. Aux obus. Au gaz.
J'échappe à tout. Ma bonne étoile continue à
me protéger à la hauteur de ma valeur. Je m'en
sortirai .
    Il
se hâta sur plusieurs centaines de mètres et constatant
que les hommes tombaient autour de lui, il
conclut qu'une fois de plus sa cuirasse d'invincibilité avait
joué son rôle.
    Il
finit par rejoindre le lieutenant Gutmann dans un fossé
défendu par leur artillerie.
     Comment
allez-vous, caporal Hitler ?
     Très
bien, mon lieutenant.
    Hitler
s'enfonça allègrement dans la zone arrière, plus
épargnée par la rage des bombardements.
    A
six heures du matin, il sentit que ses yeux chauffaient.
    A
six heures et demie, ils brûlaient.
    A
sept heures, ils lui paraissaient des charbons ardents.
    A
sept heures et demie, Hitler soupçonna qu'il avait peut-être
respiré des gaz.
    A
huit heures, alors que le jour se levait, les ténèbres
se firent autour d'Adolf Hitler. Il comprit qu'il était devenu
aveugle.
    Il
tomba sur place. Où ? Il ne voyait plus rien et hurla :
     Mes
yeux ! Les gaz ! Mes yeux !
    Ses
orbites étaient en feu alors que le reste de son corps lui
semblait engourdi dans la glace. Il brûlait et frissonnait à
la fois. Il comprit qu'on le déposait sur une civière.
    Une
main prit la sienne.
     Je
crois que la guerre est finie pour vous, Hitler.
    Il
reconnut la voix du lieutenant Gutmann.
    Cette
phrase le paralysa : la guerre finie pour lui ? Qu'allait devenir la
guerre sans lui ? Et le front sans sa flamme ? Et l'Allemagne sans sa
foi ? Il eut envie de protester, de nier sa cécité,
d'exiger qu'on le laissât là, mais ses forces ne lui
répondirent pas.
    «
Tu mourras par où tu as péché... »
    Par-dessus
les

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