La passagère du France
qu’elles redoutaient, ça rendait l’opération plus complexe. Il fallait trouver un motif pour en servir un, porter un plateau avec des tasses, et elles auraient préféré de loin le rouge à lèvres, plus simple à manipuler.
— Je vais le faire bien clair, dit Chantal en s’emparant de la cafetière. Pourvu qu’elle n’en veuille pas, il va être imbuvable.
Pendant ce temps, comme c’était prévu dans le cadre de la visite officielle, les deux vendeuses faisaient les honneurs de la boutique et dépliaient devant la Première Dame les tout derniers modèles des grandes maisons françaises. Jackie Kennedy aimait beaucoup la mode, ce n’était un secret pour personne. La première vendeuse comprit qu’elle n’aurait aucun mal à la faire rester dans la boutique plus longtemps que prévu. Au dernier moment, elle sortit les foulards du meuble comptoir derrière lequel se tenait déjà Sophie. Jackie Kennedy s’approcha aussitôt, elle adorait les foulards. Sophie pouvait la voir maintenant de très près et elle aurait pu en profiter pour détailler celle que le monde entier saluait comme étant d’une grande beauté. Mais il y avait un tel monde et une telle tension dans la boutique, il faisait une telle chaleur à cause de ces officiels qui se pressaient tous derrière elle et des flashs aveuglants des photographes, qu’elle ne put rien détailler du tout.
— Madame la Présidente, dit la première vendeuse, au nom de nos grandes maisons françaises nous sommes très honorées de vous accueillir dans cette boutique et, pour vous remercier, en hommage à ce premier voyage de notre paquebot, permettez-nous de vous offrir ce carré spécialement créé pour le France, et pour vous.
Et, sans plus attendre, elle déplia le carré de soie sur lequel la longue silhouette du France apparaissait, tout auréolée d’une harmonie républicaine de bleus, de blancs et de rouges.
— Wonderful ! s’exclama spontanément la Première Dame, visiblement heureuse en prenant le foulard.
— Désirez-vous l’essayer ? suggéra alors la première vendeuse. Cela serait un grand honneur pour nous.
Le commandant jeta un coup d’oeil discret à sa montre, on était juste dans les temps et cet essayage était de trop. Pourquoi diable cette vendeuse avait-elle fait cette proposition ? Pourvu que la Première Dame refuse !
— C’est possible ? demanda, souriante, Jackie Kennedy dans un français impeccable en se retournant vers le groupe d’hommes qui la suivaient pas à pas. Ça ne retardera personne ?
— Mais comment donc ! Faites, faites, nous avons tout notre temps, dit le commandant qui maudissait ces manies féminines à s’attarder toujours sur les chiffons et calculait déjà intérieurement les parties de la visite à supprimer pour rester dans les temps.
— On n’ira pas aux machines, chuchota dans son dos le commissaire prévoyant.
Le commandant retint un gros soupir de déception. Il aurait bien aimé montrer le mécanisme des hélices dont il était si fier.
La première vendeuse s’empressait, ravie. Elle avait réussi à garder la Première Dame dans les lieux. Maintenant, c’était à Sophie de jouer. Coincée derrière le comptoir, impressionnée plus qu’elle ne l’avait imaginé, elle se demandait comment elle allait bien s’y prendre.
Mais il était trop tard pour reculer, c’était elle qui avait écrit le scénario de leur plan d’attaque et elle avait choisi le rôle le plus difficile et aussi le plus capital. Tacher le vêtement de Jackie Kennedy pour la prendre à l’écart et lui demander d’intervenir afin qu’il n’y ait pas d’injustice ni de sanction contre Gérard et Andrei. Ce problème que les hommes n’arrivaient pas à résoudre simplement, Sophie avait eu le front de penser qu’entre femmes et en parlant clair, elles y parviendraient. Il fallait juste une interlocutrice valable. Elle avait pensé ni plus ni moins qu’à Jackie Kennedy. Le commandant l’écouterait, comment faire autrement ? Aussi, maintenant, il fallait assurer. La deuxième serveuse entra avec un plateau et des tasses fumantes préparées à l’arrière de la boutique par Chantal et Béatrice.
— Nous allions prendre le café, expliqua gentiment la jeune vendeuse à Jackie Kennedy comme si elle parlait à une cliente normale dans un lieu normal et dans un contexte normal. Peut-on vous en offrir une tasse ?
Les officiels sursautèrent. Qu’est-ce que c’était
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