La passagère du France
statufié de bonheur.
L’Amérique venait de faire au France un accueil d’une générosité inoubliable. Tous, même les plus réticents à la culture d’outre-Atlantique, sentirent faillir leur coeur devant le débordement de gaieté et d’enthousiasme qu’ils manifestèrent au paquebot.
— Ces Américains sont incroyables, lâcha l’Académicien en chassant du revers de la main un joli flocon blanc venu se poser sur le bout de son nez. Je vais même finir par les trouver attachants.
Comme il ne trouvait aucun écho auprès de son ami écrivain bien trop absorbé par le spectacle, il se tourna vers Sophie et s’aperçut qu’il n’était pas le seul à être ému. Sur ses joues rougies de froid, Sophie laissait couler les mêmes larmes.
— Si vous pleurez trop, vous allez gâcher votre maquillage, dit-il, malicieux, en se penchant vers elle. Et pour la grande arrivée vous ne serez pas présentable.
Sophie lui sourit et fila se remaquiller. L’Académicien avait raison. Pas question d’arriver dans cet état, les officiels allaient monter à bord avec Jackie Kennedy. Sophie n’attendait qu’elle et, s’il y avait bien une chose dont elle était consciente, c’est que, pour aborder la Première Dame, elle devait être irréprochable.
43
La première chose que Sophie aperçut quand la femme du président des États-Unis entra dans la boutique des Galeries Lafayette entourée de tous les costumes sombres et noirs des officiels qui l’entouraient, ce fut la ravissante couleur rose de son tailleur.
— Mon Dieu ! pensa-t-elle, affolée. Du rose ! Ça ne va pas être facile.
Un coup d’oeil aux deux vendeuses qui se tenaient derrière les comptoirs lui fit comprendre qu’elles avaient la même pensée. Béatrice aussi, qui était déjà en place. C’était elle qui devait commencer l’opération. Sophie la vit dans son ensemble cintré beige clair se faufiler entre les costumes sombres telle une sirène, poussant l’un puis l’autre avec un sourire charmeur. Bien que bousculés sans ménagement, ces messieurs, charmés par sa classe, n’osèrent pas la rabrouer et elle réussit rapidement et comme l’avait prévu Sophie à s’approcher sans difficulté de Jackie Kennedy jusqu’à presque toucher le tissu de son tailleur. Sophie la vit qui en scrutait jusqu’au moindre détail des fibres. Juste ce qui était nécessaire avant qu’elle ne soit vivement repoussée par un garde du corps plus prudent que les autres. Béatrice lui fit son plus efficace sourire et disparut derrière les costumes sombres sous son regard courroucé et interrogatif. Elle réapparut comme convenu derrière le comptoir de la boutique près des deux vendeuses et prit le téléphone. Jusqu’à présent, tout se déroulait normalement.
— Le tailleur est en pure laine, dit-elle à Michèle à l’autre bout du fil. De la laine Scotland, à mon avis, et de la plus fine.
— Vous êtes bien sûre ? insista Michèle d’un ton suspicieux à l’autre bout du fil. Il n’y a pas de mélange ? C’est insidieux, les mélanges, vous savez, il faut être connaisseur, et s’il y a un mélange on n’utilise pas le même produit et je ne peux pas me trimbaler avec tout le pressing dans les mains.
Béatrice leva les yeux au ciel et respira un bon coup. Cette femme du pressing était décidément une emmerdeuse et elle se retint à temps de l’envoyer promener.
— J’en suis sûre, dit-elle en prenant soin de garder un ton calme et respectueux comme le lui avait recommandé Sophie. Le tailleur de Jackie Kennedy est cent pour cent pure laine avec, éventuellement, un léger cachemire. Mais comme les laines du nord de l’Écosse près des lacs ont cette finesse, je crois pouvoir même dire qu’il n’y en a pas.
— Bon, bon, grommela Michèle qui ne voulait pas montrer que cette Béatrice lui en bouchait un coin avec sa connaissance des laines. De toute façon il ne faut surtout pas utiliser de jus de fruit ni de rouge à lèvres. Aucun maquillage, sinon je ne m’en sortirai pas. Dites à Chantal de faire chauffer le café. Je prépare ce qu’il faut et j’arrive.
Béatrice raccrocha vivement et fit signe à Sophie, qui se tenait à l’autre bout du comptoir avec la complicité des vendeuses, de façon que la sécurité la prenne pour une personne de la boutique et qu’on ne la fasse pas sortir. Puis Béatrice fila dans l’arrière-boutique rejoindre Chantal. Le café, c’était ce
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