La passagère du France
passager. Il paraît qu’il y aurait eu une bagarre due à des bouteilles et que des ouvriers y seraient mêlés, et aussi un des nôtres. Vous savez quelque chose ? Parce que je ne vous cacherai pas qu’il me déplairait fortement que ce bruit, pour l’instant très circonscrit à un petit cercle de journalistes, se propage.
— Pourquoi me posez-vous cette question, commandant ? Vous pensez que cet homme, c’est moi ?
Le commandant n’hésita pas une seconde.
— Non, parce que je ne vous vois pas du tout dans une bagarre. Mais... à l’heure à laquelle cela se serait passé, vous rentriez du quart, et je pensais que... peut-être vous auriez vu quelque chose ?
Mentir, l’officier n’en était pas capable, même pour satisfaire à la demande du commissaire qui souhaitait garder l’affaire secrète. Car l’officier Vercors haïssait le mensonge. Au vu des dégâts que cela avait engendré dans sa propre vie, il ne croyait qu’en la force de la vérité et n’aimait que la limpidité des relations humaines. Il n’eut pas l’ombre d’une hésitation. Il raconta ce qui s’était passé. Tant pis pour ce qu’il adviendrait quand il avouerait avoir usé de la force sur un marin et sur un passager.
Le commandant l’écouta et hocha la tête, soulagé. Quand l’Académicien lui avait fait part du bruit qui circulait dans le petit milieu des journalistes à propos d’un incident sur la terrasse réglé par un officier, il avait immédiatement reconnu Vercors à la description qui lui en avait été rapportée. Il avait réfléchi à ce qu’il fallait faire et avait convoqué le commissaire.
— Si Vercors n’avait pas calmé ce photographe et cet Andrei de façon certes brutale mais très efficace, avait dit celui-ci, je suis certain que ça aurait dégénéré et que tout le bateau serait au courant. Il nous a sauvé la mise en agissant tout de suite. Bien sûr, en un sens il a enfreint la règle, mais d’un autre côté il l’a appliquée au mieux.
Le commandant avait convenu que l’affaire n’était pas simple et que son officier avait effectivement agi pour le mieux. Ils avaient décidé de passer l’éponge pour cette fois. Mais le commandant n’avait pu s’empêcher de vérifier si Vercors était capable de mentir ou même simplement de dissimuler. Et maintenant qu’il savait, il s’en voulait d’avoir douté. Il n’aurait pas su dire pourquoi il restait si vigilant à son encontre, car, à part son coup d’éclat de la première année où il avait quitté Navale au moment de l’intégrer, rien dans l’attitude de Pierre Vercors ne l’avait jamais conforté dans cette voie du doute, bien au contraire. Mais là il venait d’avoir la preuve que son officier si discipliné gardait tout au fond de lui une profonde capacité à l’indiscipline. Et il se demandait jusqu’où ça pouvait aller.
41
— On est prêtes. Ça y est.
— Je ne sais pas si tu te rends bien compte de ce que tu fais.
— Si justement. Et c’est pour ça que je vais le faire.
— Tu crois vraiment que tu vas oser ?
— Oui, et au cas où tu l’aurais oublié je ne serai pas seule. On va faire ce qu’on a dit, toutes ensemble. Toi comprise.
— Oui, oui, ne t’inquiète pas. J’ai donné mon accord. Mais c’est toi qui seras en première ligne. Tu as l’air bien sûre de toi, mais... je ne sais pas si tu iras jusqu’au bout.
Sophie réfléchit avant de répondre à Béatrice. Dans la vie, c’était toujours comme ça. Il y avait ceux qui voulaient faire des choses et ceux qui essayaient toujours de les en dissuader. Ceux qui voulaient soulever des montagnes même s’ils voyaient bien qu’elles étaient plus grosses qu’eux, et ceux qui sans cesse leur en rappelaient la hauteur au lieu d’en voir le sommet. C’était fatigant.
— Écoute, Béatrice, libre à toi de te retirer. Je ne t’oblige à rien, mais tu n’arriveras pas à me faire changer d’avis. On a mis deux jours entiers à s’organiser et, des filles de la boutique à Michèle et Claudine, elles sont toutes enthousiastes pour aider le frère de Chantal. Ça n’a pas été simple de leur faire entendre raison, surtout Michèle et Claudine qui ne juraient que par leur syndicat. J’ai réussi à les convaincre que pour cette affaire ce n’était pas la bonne voie. Alors maintenant je ne lâcherai pas ! Tu entends ! Je ferai ce qu’on a décidé. Et toi ? Décide-toi maintenant ou pars, après
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