La passagère du France
halls dispersants, elles auraient pu être dans une petite ville avec tout ce qu’on peut désirer et au-delà. Boutiques, bars, restaurants, cinémas, salles de sport, piscines, salles de jeux, bibliothèques, salles de repos, salles de lecture, un hôpital avec salle d’opération, un chenil, une garderie, une chapelle, et même une prison.
— Une prison ! Elles furent stupéfaites.
— Il faut bien, leur expliqua un cabinier. Un dangereux individu peut se glisser sur un navire de cette taille. C’est très surveillé mais... qui sait ?
Une angoisse étreignit Sophie. Elle repensa à la nuit passée et aux deux hommes qui s’étaient enfuis. Et s’ils étaient de « dangereux individus » ? Chantal lui avait raconté son histoire, mais disait-elle vrai ? Elle voulait peut-être protéger un amant, et celui-ci était peut-être un voleur prêt au pire. Il y avait beaucoup d’argent sur ce navire. Les gens étaient riches, les femmes portaient de l’or, des parures de grands joailliers. Et si la serveuse, malgré son air, était de mèche avec eux ? Elle promit d’aller se renseigner pour être plus tranquille.
— Tu as remarqué ? dit Béatrice en la tirant par le bras.
— Quoi ?
— Cette lumière.
— Quelle lumière ?
— Celle du bateau.
— Tu veux dire l’éclairage ?
— Oui. On dirait que c’est le même sur tout le navire. Et on dirait qu’il est rosé. Tu ne trouves pas ?
Effectivement, Sophie avait déjà remarqué que quelque chose dans l’atmosphère à l’intérieur du navire était particulièrement doux, et elle s’était aussi étonnée de l’harmonie de l’épiderme sur les visages de tous ceux qu’elle croisait, jeunes ou vieux. Mais elle n’avait pas pensé à l’éclairage. Or, Béatrice avait raison, c’était ça. La lumière artificielle n’était ni blanche ni jaune, mais rose, et elle donnait à tous un teint de nouveau-né. Elle tombait des plafonds par de larges plaques de verre encastrées et dispersait sur l’ensemble du navire et des passagers cette douce couleur, si favorable. Elles se renseignèrent sur ce petit miracle :
— Tout le monde en parle, répondit une charmante hôtesse ravie de l’effet produit. La lumière est rose, c’est vrai, c’est le résultat des toutes dernières découvertes en matière de luminothérapie. C’est une lumière d’ambiance qui adoucit les traits, mais pas seulement. Les chercheurs ont mis au jour l’importance de sa couleur et de son intensité sur les comportements humains. Ce rosé a été choisi pour ces qualités spécifiques, mais il en a une autre, moins visible à l’oeil nu.
Sophie et Béatrice se regardèrent, intriguées. Qu’est-ce qu’une lumière d’ambiance pouvait bien leur faire ?
— Elle rend chaque passager plus apaisé sans même qu’il s’en rende compte. Elle calme les angoisses. Qu’en pensez-vous ? Vous vous sentez bien ? Relaxées ?
L’hôtesse riait et Sophie n’en revenait pas. On pouvait donc aller jusqu’à poudrer de rose l’atmosphère d’un paquebot aussi gigantesque pour créer une ambiance apaisante et modifier les humeurs ?
— Plus apaisés, les passagers ? fît Béatrice. Ça se saurait. Nos confrères, au petit déjeuner ce matin, étaient prêts à mordre, comme d’habitude, et à sortir les griffes...
— Pour eux il faudrait peut-être augmenter les doses ! Sophie faisait de l’humour parce que, comme Béatrice, elle doutait de l’efficacité de la chose. Au vu de ce qui s’était passé dans la nuit, elle estimait qu’elle avait de bonnes raisons pour ça. Mais elle préféra ne pas en parler et continuer de s’émerveiller. Elle n’en eut pas le temps, un cri atroce la fît sursauter.
— AHHHHH !
Béatrice venait de prendre une décharge d’électricité statique en ouvrant la porte d’un salon.
— Ça fait trois fois dans la journée ! J’en ai assez de tout ce métal, criait-elle en secouant sa main meurtrie. Non seulement c’est laid et froid, mais en plus ça fait mal.
— Ce n’est pas laid et ce n’est pas le métal, inutile de t’énerver, ragea Sophie qui n’aimait pas que Béatrice rompe la magie. C’est la moquette synthétique qui fait ça.
— Peut-être, mais si les portes et le sol étaient en bois, ça n’arriverait pas. Je ne sais pas comment tu fais pour trouver tout merveilleux. Franchement, pour une fois je suis de l’avis de l’Académicien quand il a dit qu’on
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