La passagère du France
dans la chambre, Sophie avait reconnu la voix de l’Académicien. Elle se leva et vint aux nouvelles.
— Tiens, c’est vous ? fit-elle d’un air mi-figue, mi-raisin. Vous venez admirer les tableaux ou nous inviter pour la troisième fois à un dîner inexistant ?
— Je suis heureux de vous voir remise, dit-il en se tournant vers elle, et je constate que votre sens de l’humour est intact. C’est bon signe, j’en profite pour vous dire combien je suis contrarié de ce qui s’est passé pour vous ce soir, pour la terrasse et pour le dîner. Si vous saviez combien j’étais confus en vous voyant descendre l’escalier alors qu’il n’y avait plus de place à la table. Je venais moi-même d’arriver et je n’ai pu intervenir sur l’instant, mais ensuite j’ai essayé de savoir ce qui s’était passé. En vain, je n’y comprends rien et c’est bien la première fois que ça m’arrive.
Il avait l’air si sincère qu’elles comprirent qu’il disait la vérité.
— Dites-moi, interrogea-t-il alors comme si une révélation venait de lui traverser l’esprit...
Elles crurent qu’il avait une idée soudaine et qu’elles allaient enfin savoir qui les empêchait d’aller à ces dîners, et pour quels motifs. Elles déchantèrent vite.
— Est-ce que vous me laisseriez jeter un coup d’oeil dans la chambre ? Je crois que c’est là que se trouve la tapisserie de Picart le Doux.
Avec le sans-gêne dont il était capable quand une préoccupation le guidait, il alla vérifier sans attendre la réponse. Elles l’entendirent s’exclamer tout seul, enthousiaste.
— Cette Pluie d’étoiles est superbe, dit-il en revenant au salon. Je ne suis pas amateur de tapisserie, mais ces grands papillons, ces fleurs étoilées dans ce décor jaune et bleu de la chambre, c’est splendide !
Elles le regardaient, perplexes, et il sembla seulement alors réaliser ce que son intrusion pouvait avoir de déplacé.
— Excusez-moi, dit-il retrouvant d’un seul coup tout son savoir-vivre. Je dois vous paraître bien indiscret, mais je tenais tellement à voir cette tapisserie. Vous ne m’en voulez pas j’espère ? Je visite, je visite, j’en oublie la bienséance.
Avec l’Académicien elles passaient d’un état à un autre. Charmant et délicat, il pouvait tout à coup devenir mal élevé, puis à nouveau émouvant. Difficile de lui en vouloir, il était insaisissable. Et, de toute façon, Sophie était encore si secouée qu’elle en oublia de râler.
— Vraiment, vous êtes très bien installées, reprit-il. Et la compagnie d’artistes comme Yves Brayer et Picart le Doux, avouez que c’est autre chose que celle d’un photographe qui lance des bouteilles à la mer. Non ?
— Ah, ne parlez plus de ces bouteilles de Champagne ! s’exclama Sophie. Après ce qui s’est passé j’espère qu’on n’est pas près de le voir en lancer à nouveau !
— Quelle naïveté, ma chère ! Vous ne pensiez tout de même pas que ce qui s’est passé ce soir lui suffirait comme leçon ? Il y est revenu et il y est encore à l’heure même où nous parlons.
Sophie n’en croyait pas ses oreilles.
— Mais ce n’est pas possible ! On ne peut pas le laisser faire, c’est grave !
Elle s’en étouffait presque de colère.
— Grave, grave, le mot est un peu fort, tempéra l’Académicien. Disons que c’est idiot, complètement idiot.
— Non ! C’est grave, je sais ce que je dis !
Et Sophie raconta l’accident qui s’était produit en bas quand le frère de Chantal avait reçu la bouteille sur le crâne et tout ce qui s’était ensuivi.
— Effectivement, ce n’est pas drôle, marmonna l’Académicien. Mais comment savez-vous tout ça ?
Sophie se mordit la langue. Elle s’en voulait déjà d’avoir tout raconté alors qu’elle avait promis à Chantal de ne rien dire. Maintenant elle allait devoir avouer sa présence sur les lieux la veille dans la coursive. Autant ne pas tourner autour du pot, elle dit tout, le blessé, le sang, l’officier, les médecins, la visite de Chantal. Tant pis pour sa promesse.
— Mais dites-moi, chère Sophie, il vous en arrive des choses ! Quel début de voyage !
— Oui, et je m’en serais bien passée.
— Pour ce soir je vous comprends mille fois. Le jeu était dangereux, mais pour l’autre histoire, si j’ai bien compris, l’incident est clos et le malade guéri, conclut l’Académicien. Toute cette affaire de
Weitere Kostenlose Bücher