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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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à Sophie. La colère l’avait gagné au point qu’il ne mesurait plus le danger. Il trouvait que pour régler son compte à cette pimbêche, le froid ne suffisait pas. Il voulait qu’elle ait la peur de sa vie. L’océan était déchaîné et la pluie tombait par rafales. A l’intérieur, les clients qui avaient assisté à la scène ne paraissaient pas se rendre compte de ce qui se passait vraiment. Ils pensaient que ces jeunes gens allaient cesser ce jeu et qu’ils allaient revenir. L’un avait même refermé les portes de verre à cause du froid qui s’engouffrait dans le bar. Sophie savait bien que le photographe n’avait pas l’intention de la jeter réellement à l’eau, mais elle le sentait tellement furieux contre elle et dans un tel état d’ébriété que le pire pouvait arriver. Quant aux deux autres, inutile de compter sur eux, ils avaient bu et suivaient comme des idiots. Le bateau se soulevait au rythme puissant de la houle. Ils se rapprochèrent du bord en la tirant. Sophie se débattait maintenant et criait, mais, bien qu’affaiblis, ils avaient plus de force qu’elle et le bruit de la tempête couvrait ses cris. Euphoriques, ils semblaient n’avoir aucune conscience du danger qui était immense.
    — C’est toi qu’on va mettre à l’eau ! hurla soudain le photographe. Hier soir c’était les bouteilles qu’on jetait par-dessus bord, ce soir c’est toi qu’on va balancer. Il faut changer d’amusement, tu as raison.
    Et sans qu’elle pût les en empêcher, ils la prirent aux poignets et aux chevilles et ils se mirent à la balancer, faisant mine de la jeter par-dessus bord.
    — Allez, un, deux, trois...
    Le balancement redoubla dans les rires et le vent. Ils glissaient sur le sol trempé de la terrasse, mais se reprenaient, hilares, euphorisés par le contexte et la violence des éléments. Sophie ne voyait plus rien, la pluie se déversait par trombes et l’aveuglait, collait sa robe et ses bas. Entre le jeu et le drame, la ligne est parfois si étroite que ceux qui au cours de leur existence y ont été confrontés savent l’atroce frayeur que l’on éprouve quand l’on voit les autres rire alors que l’on est seul à pressentir le drame. Sophie hurlait et appelait au secours, mais ses hurlements se perdaient dans le vent. Elle voyait le visage triomphant et ruisselant du photographe et des deux garçons. Ils n’étaient plus capables d’évaluer le danger à sa juste mesure et avaient l’air de fous. Elle se vit jetée au milieu de ces eaux déchaînées et glaciales. La scène ne dura pas plus de quelques minutes, mais pour Sophie ce fut une éternité. Elle sut que si elle ne se dégageait pas immédiatement de leur emprise elle allait tomber dans l’océan et mourir. Elle eut alors un de ces sursauts puissants que seule donne la peur de la dernière heure, et elle se secoua avec tant de force et de violence, les mordant aux poignets jusqu’au sang, qu’ils lâchèrent prise et roulèrent tous ensemble sur la terrasse. La tête de Sophie s’en alla heurter l’acier du bastingage auquel elle s’agrippa de toutes ses forces. En contrebas les eaux noires de l’océan cognaient, furieuses. Elle se crut perdue, mais une main se tendit, déjà on l’entourait. Béatrice avait réussi à alerter d’autres amis qui, inquiets de ne pas les voir revenir, étaient sortis pour tirer Sophie de ce mauvais pas.
    Maintenant, autour d’elle ils s’empressaient et la seconde d’après elle se retrouvait à l’intérieur, enveloppée dans un grand plaid de laine. Trempés et dégrisés, accablés par les clients qui n’en revenaient pas d’une telle inconscience, le photographe et les deux autres semblaient à peine prendre la mesure de leur acte.
    — Vous dramatisez ! expliquait l’un. On la tenait bien et on allait rentrer, on voulait juste s’amuser un peu, il n’y a rien de grave. Un peu d’eau ça n’a jamais tué personne !
    Béatrice était suffoquée de ce qu’ils avaient été capables de faire sous l’influence de l’alcool.
    — Mais vous êtes de vrais malades, oui ! Vous vous rendez compte qu’elle aurait pu passer par-dessus bord, et vous avec !
    — Tout de suite les grands mots, on la tenait bien, on te dit. On est vivants et il n’est rien arrivé, non ! On ne va pas en faire un drame !
    Gêné, sentant l’hostilité générale et comprenant soudain que ses amis et lui-même avaient fait les idiots, le photographe, dégrisé,

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