Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
Vom Netzwerk:
bouteille de Champagne jetée par-dessus bord aurait pu mal tourner, c’est vrai, mais ça n’est pas le cas.
    — Peut-être, s’énerva Sophie, mais, s’ils recommencent ça pourrait mal finir justement
    — Sophie a raison, s’insurgea Béatrice. Pourquoi n’avez-vous rien fait pour empêcher le photographe de recommencer ?
    — J’aurais voulu vous y voir ! se récria l’Académicien. Avec la tempête, personne ne s’est aventuré dehors. Et puisque vous abordez le sujet, je n’aurai pas le mauvais goût de vous rappeler que les premières bouteilles, vous les avez lancées vous-même...
    Prise en flagrant délit, Béatrice ne trouva rien à répondre.
    — Mais ne vous inquiétez pas, continua l’Académicien, notre confrère n’avait qu’une bouteille cette fois. J’ai cru comprendre, à ce que m’ont dit les autres, qu’après coup il s’est senti un peu stupide de vous avoir fait subir ce jeu et qu’il a voulu montrer qu’il n’était pas déstabilisé. Ils l’ont laissé faire, pour qu’il se calme. C’est de la psychologie très basique, vous savez.
    — De la psychologie très basique ! Mais vous voulez rire ! Ce n’est pas de la psychologie, c’est de la folie furieuse, oui ! Ils ont bu, et parce qu’ils tiennent debout on les croit encore capables de jugement. Or, ils font n’importe quoi.
    — N’exagérons rien, chère Sophie. Le seul qui prenne un risque, c’est ce photographe qui, au vu de son état, pourrait bien passer par-dessus bord avec sa bouteille. Mais il est grand et il sait ce qu’il fait, non ? Ce n’est pas à moi de jouer les rabat-joie et d’aller lui faire la leçon. D’ailleurs personne ne m’aurait écouté parce que personne ne m’aurait entendu. Le bar n’est pas immense et il est bondé, la musique est assourdissante, j’ai eu un mal fou à entrer. Il y avait de la fumée de cigarette partout, mes yeux piquaient et, au bout d’une minute j’ai préféré repartir. On se demande à quoi sert le magnifique fumoir des premières ! Tout le monde fume partout, alors... Ne comptez pas sur moi pour y retourner. Je rejoins ma couche et vous conseille d’en faire autant.

 
    34
    L’officier avait terminé son quart. Le commandant, époustouflé par la résistance et les capacités du France dans la tempête, avait décidé de rester au poste et il avait intimé à Vercors l’ordre d’aller se coucher. Le lendemain, il tiendrait la barre et devrait avoir l’esprit clair.
    — Nous avons la responsabilité de trois mille personnes, Vercors, ne l’oubliez pas. Allez dormir, demain vous reprendrez le quart.
    L’officier aimait ce moment, quand après des heures de veille et de combat à guider le navire dans la tempête le corps et l’esprit tout entiers se relâchent. Il quitta la timonerie et resta un instant immobile, seul, à respirer le froid et la pluie qui continuait à tomber par rafales se mêlant aux eaux de la mer. Celles-ci éclataient contre l’étrave et retombaient sur le pont, ruisselantes. L’officier agrippa la rampe de l’escalier de fer de la passerelle pour descendre sur le pont inférieur. Le vent dépassait maintenant les dix-huit noeuds. L’officier aimait les tempêtes. Il n’était jamais aussi bien que lorsqu’un navire était en danger, au bord de se fracasser. Il fallait alors concentrer tout son savoir et tout son instinct pour le garder en vie. Durant ces heures de lutte, encore plus intenses la nuit, peut-être parce qu’elles évoquaient la furie et le drame, l’officier pensait à ce père qu’il avait perdu à l’âge où l’on n’a pas de souvenirs. Ce père qui aimait la mer et les bateaux, cet homme de devoir, militaire de carrière, qui était mort avec des centaines d’autres marins, piégé dans une rade où il attendait sans méfiance, gardien d’un cuirassé de la flotte française qui arborait sur sa tôle d’acier gris un beau nom du pays, le Dunkerque. L’officier Vercors avait très longtemps ignoré le drame de Mers el-Kébir et sa cause terrible. Un silence s’était fait autour de l’enfant qu’il avait été, comme une bulle qui avait résisté aux années, aux voisins, aux amis, à l’école, et surtout, à la famille. Sa mère avait dans le regard une tristesse anormale qui ne la quittait qu’à de trop rares occasions, le temps d’une floraison printanière dans le jardin de la maison, d’un bon carnet de notes, et le jour où il fut reçu à Navale. Mais

Weitere Kostenlose Bücher