La Perle de l'empereur
détour par le parc. Tu seras alors devant le bassin sacré qui est le cœur de la cité…
La proposition semblait honnête, même si Morosini n’arrivait pas à attacher la moindre confiance à ce visage trop souriant, au regard faux. Mais, après tout, connaître une autre sortie ne lui ferait aucun mal, bien au contraire : cela pourrait toujours servir… Cependant la traversée du palais mit sa mémoire à rude épreuve : il y avait trop de couloirs, trop de courettes, trop de montées et de descentes qui les annulaient, trop de pièces aux décors divers, mais enfin on déboucha sur les larges escaliers dont les marches luisantes descendaient dans l’eau bleuie par le reflet du ciel. La ville était là, ouverte devant lui, et il eut la sensation de mieux respirer que ce matin dans sa course à travers la campagne. Tout ici n’était que beauté et harmonie. Il y avait les silhouettes gracieuses de ces femmes vêtues et coiffées de voiles teints de couleurs tendres ou éclatantes : des pourpres, des oranges, des verts, des ocres, des bruns, des safrans qui animaient les nobles marches et recréaient les personnages des peintures et des fresques dont s’ornait le palais. Certaines, avec des colliers de fleurs, se dirigeaient vers un temple, d’autres vers l’animation des rues dont la principale coupait Alwar sur toute sa longueur. Un étonnant arc de triomphe, une sorte de porte moghole flanquée de tourelles et habillée de mosaïques turquoise, l’enjambait, évoquant Samarcande. Elle grouillait de vie et de couleurs, ressuscitant les anciens âges en une évocation fascinante. Des bœufs bossus, aux cornes peintes, passaient gravement entre les échoppes sans que quiconque s’occupe d’eux, ne s’écartant que pour le passage d’un éléphant portant sur son dos une howda peinte aux rideaux multicolores et un cornac au turban écarlate qui restituait l’échelle de la ville. Une chose cependant frappa Morosini. En dépit des couleurs, de la richesse de certaines demeures aux corniches peintes et sculptées, aux balcons ouvragés, aux fenêtres ornées de délicats écrans de marbre ajouré, la majeure partie de cette grande ville donnait une impression de pauvreté.
Il y avait, en effet, trop de mendiants, trop de maisons lépreuses entre les frondaisons des jardins et les fastes des riches demeures. Les rues étaient sales en dépit des nombreux balayeurs intouchables chargés de la voirie mais qui ne semblaient guère s’en soucier. Même l’artère principale, celle qui, passant sous l’arc moghol, s’en allait vers les escarpements de la montagne dominant le fort de Bala Qila, n’y échappait pas. Celui-ci, symbole des anciens princes, montrait des murailles épaisses, vertigineuses, surgissant d’un éperon rocheux et se prolongeaient en remparts étagés tendus comme une griffe vers la cité qu’ils enveloppaient… La guerre qu’ils évoquaient trouvait un contrepoint dans la rue même avec ce guerrier rajpoute vêtu de brocart, tenant dans une écharpe de soie son sabre courbe et dont le regard lourd pesait sur la foule qu’il n’avait cependant pas l’air de voir. Il menait d’une main gantée son puissant cheval presque aussi paré que lui…
Évitant de justesse une sorte de petit char genre Ben-Hur mené à fond de train par un mince jeune homme en tunique de soie aux couleurs d’Alwar qui ne pouvait être que l’un des nombreux aides de camp du maharadjah, Morosini entra par force dans l’échoppe d’un tisserand où s’étageaient des piles de tissus pour saris, allant de la simple cotonnade bleue aux précieuses mousselines ornées de « zari », ces broderies d’argent, d’or ou de galons scintillants. Ravi de cette rareté que représentait un Occidental, le tisserand l’entreprit aussitôt pour lui faire admirer son travail. En vérité étonnant parce qu’il savait tisser des saris réversibles ; une couleur d’un côté, une autre de l’autre :
— Une spécialité de chez nous, sahib ! déclama-t-il. Un véritable secret que l’on nous envie. Ici seulement on sait faire ces magnifiques étoffes ! Je suis fournisseur du palais : la maharani et les rajkumaris (15) m’accordent leur confiance…
Heureux de ce client qu’il devinait riche l’homme entamait une sorte de conférence tout en faisant surgir sur son comptoir, d’un geste de prestidigitateur, des flots de merveilles aux teintes tendres ou violentes. Aldo décida de jouer
Weitere Kostenlose Bücher