La Perle de l'empereur
grès brun avec ses neuf dômes de marbre blanc : c’est son mausolée, mais on l’appelle Rani Musi Chatri par vénération pour sa veuve, la Rani Musi qui à sa mort s’est faite « sati ». Cela veut dire…
— Qu’elle est montée vivante sur le bûcher funéraire de son époux, traduisit Aldo. J’espère que Votre Grandeur a banni à jamais de ses États cette atroce coutume ?
— Les Anglais l’ont exigé mais… il est bien difficile, une fois mort, d’empêcher un peuple de suivre ses coutumes… et à une veuve inconsolable de chercher à suivre son époux et d’acquérir la sainteté… Venez maintenant ! J’ai encore quelque chose d’intéressant à vous montrer !
Morosini commençait à en avoir assez mais dut tout de même suivre son hôte dans une pièce, petite par rapport aux autres, une salle à manger dont le centre était une table ronde en argent massif dont le plateau s’ornait de scintillantes vagues gravées en trompe-l’œil. Au milieu il y avait un candélabre en argent, lui aussi orné d’une profusion de branches, de lianes et de fleurs étranges, un objet plutôt fantastique mais qu’Aldo ne trouva pas vraiment beau.
— Magnifique ! commenta-t-il sans se compromettre.
— C’est surtout quelque chose de très amusant. Essayez de soulever le chandelier !
Morosini se pencha presque à s’étaler sur la table, saisit le pied du candélabre… et s’en retrouva soudain prisonnier : déclenchées sans doute par le mouvement, deux des lianes venaient de se refermer sur ses poignets, l’immobilisant dans une position peu confortable. Jay Singh éclata de rire, ce qui le mit en colère :
— Qu’est-ce que cette diablerie ? Je ne trouve pas ça amusant !
— Allons, mon ami, ce n’est qu’une plaisanterie, un jouet, si vous voulez ! Mais bien utile : cela m’a toujours évité de me le faire voler. Vichnou seul sait pourquoi, mais il a souvent tenté plusieurs de mes jeunes aides de camp. Ils se retrouvaient alors captifs dans une position fort avantageuse pour qui se plaît à goûter la beauté d’un corps d’adolescent particulièrement bien fait !
Une brusque sueur froide inonda le dos de Morosini, dont la colère se mêla de dégoût : il n’avait que trop bien compris ce qu’évoquait Jay Singh… Sans aucun doute l’une des raisons de la crainte, pour ne pas dire plus, qui semblait habiter en permanence le regard de tous ces garçons. Il se maîtrisa cependant et ce fut d’une voix calme mais glaciale qu’il articula :
— Veuillez, s’il vous plaît, me libérer ! Je n’apprécie pas ce genre d’humour… et encore moins le commerce des hommes. Quels qu’ils soient !
Jay Singh cessa de rire et se hâta de libérer son hôte en se confondant en excuses. Ce n’était qu’une petite expérience divertissante. Jamais il n’avait voulu se moquer de celui qu’il considérait comme son frère…
— Allons boire ensemble pour effacer cette mauvaise impression. Tout ceci n’est que futilité indigne d’hommes tels que nous. Demain je te montrerai mon véritable trésor, qui n’a rien à voir avec les biens terrestres. Demain je te ferai connaître mon maître, l’homme qui ouvre devant moi les portes de la sainteté. Grâce à lui j’ai le droit de porter le titre de Raj Rishi, qui signifie « maître religieux » et « saint homme »… Demain je te montrerai la lumière…
En dépit de l’envolée lyrique dont on venait de le régaler, Aldo ne vit là-dedans rien de bien rassurant. Étant donné les étranges façons d’être de Jay Singh, il se demanda même à quel genre de cinglé il allait devoir faire quelques révérences… Sa décision était prise : après sa visite au « saint homme » il prendrait congé de Jay Singh, récupérerait Adalbert et prendrait avec lui le chemin de Delhi, où ils resteraient quelques jours avant de partir pour les fêtes du Jubilé. Sans oublier de réclamer l’autre moitié du prix convenu pour la « Régente » !… Décidément il ne se plaisait pas dans ce fastueux palais plein d’ombres glissantes qui n’étaient cependant rien d’autre que les innombrables serviteurs. Il est probable qu’il en trouverait autant à Kapurthala mais l’impression serait certainement différente.
Le lendemain, en rejoignant le maharadjah dans la cour du palais, il s’attendait à trouver une automobile ou peut-être un cheval pour se rendre chez le Maître, dont il
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