La Perle de l'empereur
tout ce chemin et que tu as failli te faire tuer pour en arriver là ! C’est à pleurer !
Morosini haussa les épaules avec désinvolture :
— Cela fera des souvenirs à raconter à mes petits-enfants. Et puis, à Kapurthala, elle trouvera peut-être un acquéreur, ajouta-t-il, incorrigible. Quand devons-nous partir ?
— Demain. Tu vois qu’il était temps que tu arrives.
— En attendant, je vais prendre possession de ma chambre. Le train du Vice-Roi est peut-être blanc, mais les escarbilles sont toujours aussi noires !
Tandis qu’Aldo prenait l’ascenseur pour retrouver là-haut un Amu rayonnant dans les vêtements neufs achetés avec l’argent que lui avait remis son nouveau maître, Adalbert demandait au portier de lui appeler une voiture et quittait l’hôtel après s’être assuré qu’Aldo était bien arrivé à son étage.
Ils se retrouvèrent pour le lunch et, sans laisser à son ami le temps d’articuler une parole, Adalbert lui apprit qu’il était invité à prendre le thé chez la Vice-Reine. Ce qui ne lui fit aucun plaisir. D’abord parce qu’il n’aimait pas beaucoup ce type de réunions mondaines essentiellement féminines et bavardes, ensuite parce qu’il devinait sans peine ce qui lui valait une aussi flatteuse invitation : il allait jouer à coup sûr le rôle sans gloire de bête curieuse et devoir raconter son histoire à un escadron de femmes qui la plupart du temps devaient s’ennuyer à mourir.
— J’aurais préféré, dit-il, voir son époux. D’abord pour le remercier, ensuite parce que j’ai des choses à lui dire…
— L’un n’empêche pas l’autre ! Il arrive à lord Willingdon de prendre le thé chez sa femme. Allons, ne joue pas les ours ! Tu auras au moins le plaisir de voir Mary Winfield ! Le portrait est déjà commencé…
— C’est vrai. Je l’oubliais. J’aime bien Mary. Elle est, en ce moment, le seul lien qui me rattache à Lisa. Et c’est tellement précieux pour moi !
— Tu oublies les liens du mariage ? Ça compte aussi… et puis, ne va pas te démolir le moral ! Fais-toi beau ! Tu vas rencontrer un tas de jolies femmes…
— C’est bien ça qui me fait peur ! Enfin…
Un peu avant cinq heures, les deux hommes, tirés à quatre épingles, sortaient de la ville en longeant un affluent de la Jumna, la plus importante rivière du Rajputana… et se retrouvèrent en pleine jungle : en dehors de la route, plus aucun signe de civilisation n’était visible.
— Tu es sûr que nous allons à la Résidence demanda Morosini.
— Tout à fait. Ceci est un bout de pays sacré, le Holly Land. Si on le laisse ainsi, c’est pour honorer la mémoire des soldats britanniques tombés pendant la fameuse révolte des cipayes. Mais nous sommes presque arrivés.
En effet, quelques tours de roues plus tard, les broussailles s’ouvraient devant l’entrée d’un parc à ce point britannique, avec ses gazons d’un vert éclatant et ses massifs de fleurs, que Morosini ne put retenir une exclamation de surprise.
— On se croirait en Angleterre. C’est un peu inattendu !
— Mais très concevable ! Tu peux faire confiance aux Anglais pour s’éviter la nostalgie autant que faire se peut. Je les crois capables de recréer un jardin anglais au pôle Nord !
Rien n’y manquait : ni les tennis, ni le terrain de criquet, ni celui de football. Un peu partout étaient semés des pavillons, des cottages réservés au personnel et, au milieu de tout cela, une grande demeure de style colonial, simple et agréable avec ses vérandas habillées de plantes grimpantes où bavardaient des groupes de femmes en robes claires et d’hommes en tenues d’été. Seules les sentinelles veillant au pied du large escalier signaient la puissance de celui qui habitait là.
— Les Anglais, ajouta Adalbert, trouvent cette résidence un peu modeste et attendent avec impatience l’énorme palais qu’on est en train de construire dans la nouvelle Delhi. À la mesure de l’Empire sans doute, mais il me semble que j’aimerais mieux habiter ici…
L’atmosphère en effet était aimable, bon enfant même. Des bruits de conversations arrivaient jusqu’aux visiteurs sur un fond de musique anglaise. Adalbert glissa son bras sous celui de son ami :
— Viens ! fit-il joyeusement. Allons faire nos révérences… et ne fais pas cette tête-là ! Tu as l’air d’un chrétien qu’on va livrer aux fauves.
En pénétrant dans la
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