La Perle de l'empereur
affreuse tu te serais arrangé pour te défiler. J’ai bien envie de vous accompagner !
— Et quoi encore ? Tu veux jouer les duègnes ?
— J’ai toujours rêvé d’être le frère aîné de quelqu’un…
— De Lisa, par exemple ? Eh bien, ce soir je sors sans mon beau-frère. D’ailleurs, rassure-toi, j’ai changé le programme…
Il avait réfléchi, en effet, à la trop longue promiscuité que représentait un dîner en tête à tête qu’il fallait prolonger, si l’on savait vivre, par une visite à un cabaret élégant. Ce qui signifiait boire peut-être un peu trop et, en conclusion, se voir invité à prendre un dernier verre chez la dame. À moins d’être amoureux, on se lasse de la contemplation d’un visage, si ravissant soit-il. En consacrant une partie de la soirée à l’art on gagnerait un temps appréciable.
— J’espère que vous n’avez pas trop faim ? déclara-t-il gaiement quand le colonel Karloff ouvrit devant eux la portière de son taxi.
Le hasard avait voulu que Morosini tombe sur lui en rentrant chez Adalbert et il avait décidé de s’assurer de ses services en priorité, ce qui était possible en téléphonant dans certain bistrot de la place Clichy.
— Je vous emmène à l’Olympia, après quoi nous irons souper chez Maxim’s.
Si elle éprouva une déception, elle n’en montra rien.
— Qu’allons-nous voir à l’Olympia ?
— L’Argentina, voyons ! J’espère que vous aimez le flamenco ?
Elle se mit à rire :
— Vous pensez que je suis saturée de danses russes et qu’un changement de décor me fera du bien ? Ce n’est pas une mauvaise idée.
Son entrée dans la célèbre salle de spectacle ne passa pas inaperçue. Sur une robe de velours noir à manches longues montant jusqu’au cou mais laissant le dos pratiquement nu, elle portait une sorte de domino court, de même tissu, que fermait sous le menton un gros nœud de satin noir. Une broche de diamants et de perles éclairait la robe, assortie à une série de bracelets qui s’entrechoquaient à son poignet droit, sa main gauche ne portant que le diamant remarqué dans l’après-midi par Aldo.
« Elle est vraiment très belle, pensa-t-il en considérant un instant le fin profil penché sur le programme. Mais pourquoi si triste ? »
Il aurait juré, en effet, que les jolies lèvres si tendrement ourlées tremblaient un peu. Lui aurait-il fait de la peine en l’emmenant à ce spectacle ?
Le rideau se levait sur un décor de rue espagnole brûlée de soleil, où des passants allaient et venaient et où bientôt s’inscrivit la longue silhouette rouge et noire de la célèbre danseuse encore prolongée par la traîne aux volants multiples de sa robe sévillane. L’Argentina n’était pas vraiment belle avec ses grandes dents éclatantes où elle se plaisait à planter une rose rouge mais, quand se mirent à crépiter les castagnettes répondant au martèlement de talons qui entraînait le corps de la femme dans l’envol de sa jupe à multiples étages, Morosini oublia sa compagne pour se laisser emporter par le rythme de la danse. Cette femme avait le don de fasciner les foules et chacun des numéros de son programme soulevait des tonnerres d’applaudissements…
Quand les lumières de l’entracte se rallumèrent, force fut à Aldo redescendu de son nuage de constater que son invitée n’avait pas applaudi et même qu’elle avait l’air de s’ennuyer :
— Vous n’aimez pas ? demanda-t-il.
— Non, soupira-t-elle avec un haussement d’épaules lassé. Je ne comprendrai jamais pourquoi cette femme fait courir les foules. Elle est laide…
— Je vous l’accorde mais son immense talent le fait oublier !
— À condition d’aimer sa musique et moi je ne l’aime pas.
Aussitôt, Aldo fut debout, lui tendant la main pour l’aider à se lever :
— Partons ! Mais vous auriez dû me le dire plus tôt. Jamais je ne vous aurais amenée ici. Je pensais seulement vous faire plaisir, ajouta-t-il en manière d’excuses.
— Nous ne nous connaissons pas encore assez pour que vous sachiez mes goûts. Et puis j’ai très faim !
— Alors, allons souper !
— N’est-ce pas un peu tôt ?
— C’est sans importance. On ne nous jettera pas pour autant à la rue et notre table est retenue. Nous aurons un peu moins de monde, voilà tout !
— Personnellement je ne m’en plaindrai pas. J’aurais même préféré un petit bistrot dans un coin
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