La Perle de l'empereur
à faire !… Et le gamin est dans le même cas que moi mais lui, ça lui ferait plutôt plaisir : vous pensez ! ça le pose auprès des copains. Et lui au moins il a quelque chose à dire… même si c’est toujours pareil.
— Que peut-il dire de plus ?
— Vous oubliez qu’il a vu les ravisseurs ? Les « chaussettes à clous » espèrent encore lui tirer un petit détail supplémentaire. Que voyez-vous de drôle là-dedans ? aboya-t-il en réponse à l’éclat de rire de son client.
— Vos étonnantes facultés d’adaptation, mon cher colonel. Vous parlez comme un vrai chauffeur de taxi…
— Que je suis ! J’attrape très vite le langage du milieu dans lequel je vis. Si vous m’aviez entendu avec mon cheval ! ajouta-t-il avec une note de tristesse dans la voix.
Pour toute réponse, Aldo posa sa main sur l’épaule du vieil homme et la pressa. Puis pour changer de sujet :
— Connaissez-vous la comtesse Abrasimoff ?
— Elle non, mais j’ai connu son mari. Il était beaucoup plus vieux qu’elle et affreusement riche. Il avait la passion des bijoux et elle, je ne l’ai vue qu’une fois : à tomber à genoux tellement elle était belle ! On lui prêtait d’ailleurs des aventures…
— Pas étonnant ! Elle est vraiment ravissante mais je ne suis pas sûr qu’elle soit très heureuse…
— C’est difficile de l’être quand on est russe et de nos jours. Elle au moins a de quoi vivre, il me semble ?
— On dirait mais ce qu’elle voudrait retrouver, ce sont ses bijoux qui lui ont été volés…
— Vraiment ? Eh bien, le gars qui a fait le coup n’a pas perdu sa journée ! Le vieux Sergueï la couvrait littéralement de diamants, de saphirs, d’émeraudes et de perles. Jamais de rubis : il disait que leur couleur ne s’accordait pas avec ses yeux. Je crois bien qu’elle avait plus de bijoux que la tsarine.
— Jamais de rubis ? Vous en êtes sûr ?
Karloff haussa les épaules :
— Je vous dis ce qu’on m’a dit. Tenez, voilà votre rue Greuze.
— Arrêtez-moi au numéro 7.
— Je vous attends ?
— Très volontiers ! Je n’en aurai pas pour longtemps. Au fait, ajouta-t-il avec un sourire, c’est là qu’habite la comtesse.
L’ancien colonel de cosaques se retourna pour considérer son passager :
— Là ? Il n’y a pas longtemps alors ? Dans le milieu des taxis on sait tout et j’ai entendu dire qu’elle habitait une des plus belles maisons du quai d’Orsay.
— Elle a dû déménager. À tout à l’heure ! On ira prendre quelque chose pour se réchauffer avant que vous ne me rameniez…
Il eut quelque peine à se faire ouvrir. Le concierge devait avoir le sommeil dur ! Enfin le système d’ouverture daigna se déclencher et il put pénétrer dans la maison en criant le nom de la comtesse comme il était d’usage dans les immeubles parisiens… Mais se faire ouvrir la porte de l’appartement fut une autre histoire. Une voix rude bien que féminine répondit assez vite à son coup de sonnette mais Aldo dut parlementer tant bien que mal jusqu’à ce que la voix de M me Abrasimoff se fît entendre derrière le vantail :
— Que voulez-vous ? demanda-t-elle sur un ton où vibrait la colère.
— Savoir comment vous allez. Vous avez disparu si brusquement !
— Je vais bien, merci. Et ne me dites pas que vous vous souciez de ma santé. Vous avez mis du temps à vous en inquiéter…
— Quand une femme désire s’écarter, il peut être indiscret de lui courir après.
— C’est pourtant ce que vous faites… à retardement. Alors allez-vous-en et laissez-moi dormir.
Une sorte de sourd grondement se faisait entendre, signe certain que l’aimable Tamar n’était pas loin et prête à jouer les chiens de garde.
— Je voudrais vous parler. Est-ce si difficile ?
— Très. Qu’avez-vous à me dire ?
— Rien à travers la porte… mais je suis peu disposé à en bouger.
Il y eut un petit conciliabule entre les deux femmes et, finalement, le bruit d’une chaîne qu’on retirait se fit entendre : la porte s’ouvrit.
— Entrez ! grogna la fille de Gengis Khan.
L’entrée était obscure mais la fine silhouette de Tania se découpait sur le seuil éclairé du salon. Elle était encore tout habillée et ne sortait certainement pas de son lit. Aldo la suivit.
Elle alla se pelotonner près de la cheminée, où le feu était allumé, sur un amoncellement de coussins jetés au pied
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