La Perle de l'empereur
soit trouvé une femme assez hardie pour braver Rostopchine et ses incendiaires afin de venir offrir à l’Empereur ses charmes consolateurs, elle serait née en 1813, votre bonne femme, et quand elle a découvert les rives ensoleillées de la Crimée, elle aurait eu cent quatre ans ?
— Très juste ! approuva Vidal-Pellicorne. C’est même pour ça qu’elle a eu droit à cet article allemand mais ça ne parlait pas de Napoléon. Alors, le rapport avec ce « prétendant » inattendu ?
— Il serait son petit-fils tout simplement ! émit joyeusement le journaliste. Celui de ses « fidèles » qui est entré en relations avec Marie le lui a expliqué soigneusement. Du fond de la Sibérie où l’on avait fini par envoyer sa mère, la Berechkoffskaïa a eu un fils d’un des décembristes expédiés là-bas par Nicolas I er et ce fils en a eu un lui-même vers la fin du siècle dernier. Moi je trouve cette histoire passionnante. Pas vous ?
— Intéressante en tout cas ! soupira Aldo. Mais pourquoi ce chiffre six ?
— Dans cette famille on a l’air de tenir ses comptes à jour. Si l’on part du principe que le prince impérial, fils de Napoléon III, avait droit au IV, le marmot du décembriste devenait Napoléon V et son fils a continué en bonne logique. C’est aussi simple que ça…
— Et Marie Raspoutine ne l’a jamais vu ?
— Non, et c’est compréhensible. Quand on a de si hautes prétentions il faut bien se protéger. Elle n’a affaire qu’à des comparses.
— Soit, je l’admets volontiers, fit Aldo en allumant une cigarette, mais ce que je ne comprends plus, c’est pourquoi cette femme revendique la « Régente » ? Elle n’a jamais appartenu à son père et je pense que votre Napoléon VI n’a aucune intention de la lui donner : elle doit représenter un symbole pour lui ?
— Exact, mais souvenez-vous qu’elle a vingt-six ans, qu’elle est veuve et qu’elle ne verrait aucun inconvénient à devenir Madame Napoléon. Comme les grands aventuriers, cet homme est sûrement célibataire !
— Et elle avale cette couleuvre ? Vous dites qu’elle ne le connaît pas ?
— Mais elle a entendu sa voix et elle ne désespère pas de leur rencontre, qui serait sa première récompense. Ensuite, il se pourrait qu’il en fasse une maîtresse.
— Où allez-vous chercher tout ça ? fit Adalbert moqueur. Vous ne savez rien des intentions de cet homme…
— Eh non, mais quand on est journaliste il vaut mieux avoir de l’imagination. Cela permet de boucher les trous. En outre, je sais assez bien ce qui se passe dans la cervelle de Marie…
— Et elle ne vous a rien dit concernant les meurtriers de ce malheureux Piotr ? fit Aldo un peu agacé par ce qu’il jugeait être une trop forte dose de naïveté chez ce garçon. Il me semble que vous devriez être intéressé par la capture de ces misérables. Cela vous ferait un bon papier, comme vous dites.
— Pas si bon que si j’arrive à atteindre le cerveau en pénétrant l’association. Amener Napoléon VI devant nos objectifs, voilà qui vaut la peine de se donner du mal. Mais il y faut de la patience.
— En ce qui me concerne je n’en ai plus guère, parce que je voudrais bien rentrer chez moi et que ce nouveau meurtre n’arrange rien…
Il se tut soudain sous l’impact des applaudissements qui saluaient l’entrée de Masha, dont la voix s’élevait réduisant au silence les soupeurs aussitôt sous le charme. Un charme auquel Aldo n’essaya pas d’échapper, bien au contraire. Il ne comprenait pas les paroles mais il y avait dans cette voix aux sonorités de violoncelle une sorte de magie qui lui faisait du bien. Pourquoi fallut-il que le journaliste chuchotât à son oreille :
— Vous connaissez cette chanson ? Elle s’appelle « La fin de la route » et elle est chargée de douleur. Je suppose que Masha la dédie à son frère ? Voulez-vous que je traduise ?
— Vous parlez russe ?
— Je parle cinq langues. C’est utile dans mon métier. Écoutez, elle dit :
Mes rêves se sont tus car tu es parti maintenant,
Nous ne faisons plus route commune,
Une simple intention mal interprétée
Et le regard s’est glacé de haine…
— Par pitié, taisez-vous ! intima tout bas Morosini, désagréablement impressionné parce qu’a cet instant il pensait à Lisa et au plaisir qu’ils auraient goûté si elle était auprès de lui en ce moment. Je préfère
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