La Perle de l'empereur
châtelaine de Chaumont-sur-Loire, une amie de longue date de Jagad Jit Singh qui avait souvent séjourné chez elle et même lui avait fait présent d’un éléphant. Avec elle la conversation ne manquait jamais de saveur : c’était une femme un peu à l’emporte-pièce, franche, directe et presque toujours de belle humeur. Elle adorait les bijoux et on parla beaucoup de pierres, célèbres ou non et, bien entendu des fêtes que le maharadjah allait donner à l’automne pour son jubilé. Elles promettaient d’être magnifiques. Tant et si bien que Morosini fut à peine surpris quand, les femmes s’étant retirées à la mode anglaise pour laisser les hommes entre eux, le maharadjah l’invita à y participer ainsi que Vidal-Pellicorne dont il appréciait la culture universelle et les ouvrages d’archéologie.
— Je possède des trésors que j’aimerais vous montrer et dont certaines pièces n’ont jamais vu l’Europe. Naturellement, je serais particulièrement honoré si la princesse Morosini me faisait la grâce de vous accompagner. J’ai beaucoup entendu vanter son charme et son éclat…
Par qui, mon Dieu, mais après tout cela n’avait rien d’extraordinaire lorsque l’on connaissait le goût très vif de Jagad Jit Singh pour les jolies femmes de n’importe quel pays ! Au cours du repas, tandis que l’on dégustait un étonnant agneau au curry dans la sauce duquel scintillaient des parcelles d’argent, il avait écouté avec amusement les confidences de M me de Broglie sur l’incessante chasse à la beauté qui était l’un des grands plaisirs de leur hôte.
— Il a même épousé coup sur coup une Espagnole et une Italienne, et comme je m’étonnais, étant donné sa passion pour la France, qu’il n’eût pas épinglé sur sa liste une de ses filles, savez-vous ce qu’il m’a répondu ?… « Je les aime trop ! Je n’arriverais jamais à choisir ! »
Il n’était donc pas tellement étonnant que le nom de Lisa ait volé un jour ou l’autre du côté de ses oreilles. N’était-elle pas en effet l’une des femmes les plus séduisantes de toute la planète ? Pour Aldo aucune autre ne lui venait à la cheville. Et il s’entendit répondre que lui et son épouse se rendraient avec joie dans un pays qui les fascinait depuis longtemps.
Tandis que l’ambassadeur d’Angleterre reprenait le dé de la conversation après une solide rasade de porto, Aldo, rendu à lui-même pour un instant caressa l’idée d’une seconde lune de miel dans les Indes fabuleuses. Si Lisa consentait à confier les jumeaux à leur arrière-grand-mère pour une dizaine de semaines, ce pourrait être magique. Perdu dans ses pensées, il laissait son regard glisser sur la salle somptueuse occupée seulement par les hommes et soudain il reprit contact avec la réalité, posa le verre dont il dégustait le contenu et se livra à un examen attentif de ceux qui se trouvaient là. Or, nulle part il ne vit José d’Agalar.
Quand on sortit de table, il rejoignit Adalbert tout joyeux lui aussi à l’idée de l’accompagner aux Indes et mit un frein à son enthousiasme :
— Tu as raison, le voyage va être formidable mais quelque chose me tracasse : as-tu vu le grand d’Espagne ?
— Ma foi non… Pourtant il est entré avant nous dans la salle à manger et il prétendait mourir de faim. Comment se serait-il volatilisé ?
— D’autant plus qu’il n’y a aucune raison. Mais on peut toujours essayer de savoir…
Retournant dans la vaste pièce où les serviteurs s’affairaient à remettre de l’ordre, Morosini alla trouver celui qui dirigeait la manœuvre en priant le Bon Dieu qu’il parle au moins anglais :
— Je cherche le marquis d’Agalar, lui dit-il dans cette langue. Sauriez-vous me dire à quelle table il était placé ?
L’hindou s’inclina et partit chercher des cartons où les tables étaient dessinées avec les noms de leurs occupants, les parcourut des yeux puis montra à Aldo celui qui l’intéressait. Celui-ci remercia et rejoignit Adalbert :
— Il était à la table présidée par le maharadjah d’Alwar. Comment se fait-il que je ne l’aie pas aperçu ? D’où j’étais il devait se trouver dans mon champ de vision…
Une voix onctueuse teintée d’accent oriental se fit lors entendre :
— Feriez-vous allusion à ce… personnage qui a eu l’indécence de s’étouffer en absorbant du curry et que l’on s’est hâté d’ôter de ma
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