La Perle de l'empereur
vue ? Un spectacle vraiment répugnant !
Jay Singh Kashwalla, maharadjah d’Alwar en personne, se tenait là, accompagné de deux hommes de sa suite. Il souriait benoîtement mais ce sourire n’atteignait pas ses yeux qui semblaient vouloir pénétrer jusqu’à l’âme d’Aldo. Celui-ci salua profondément comme l’exigeait le protocole :
— Si Votre Altesse le dit, ce doit être vrai. Cependant le marquis d’Agalar qui est un grand d’Espagne devrait savoir comment se comporter lorsque l’on a l’honneur de dîner à la table d’un prince souverain.
— Grand d’Espagne ? Fttt !… Qu’est cela ? fit Alwar avec un geste méprisant de sa main gantée et bosselée de rubis gros comme des œufs de caille. Ce n’est qu’un marquis. Vous, vous êtes prince, m’a-t-on dit ? Un grand d’Italie, je suppose ?
— De Venise ! Très honoré de l’attention qu’un souverain étranger veut bien me porter !
— Votre réputation est grande dans le monde des pierres précieuses et vous pouvez constater que je les aime aussi. Viendriez-vous en parler avec moi… en privé ?
— Il est à craindre que Votre Altesse n’en sache plus que moi sur ce sujet.
— Ne le croyez pas ! Venez plutôt déjeuner demain ! Nous comparerons nos sciences. J’habite le Claridge. Voulez-vous treize heures ?
Impossible d’échapper, quelque envie qu’il en eût, à une invitation aussi formelle. Morosini s’inclina :
— Ce sera un honneur pour moi…
— Alors donnez votre adresse à mes gens. Une voiture viendra vous prendre à midi et demi…
Le maharadjah tournait déjà les talons après un salut léger.
— Seigneur ! gémit Aldo en le regardant rejoindre leur hôte. Il ne me manquait plus que ça !
— Allons donc ! ironisa Adalbert. Tu as vu sa poitrine ? Il n’y a pas un joaillier au monde dont la vitrine puisse lutter avec elle. Tu vas nager dans les pierres précieuses, mon bonhomme !
— Sans doute, mais j’aimerais mieux nager avec quelqu’un d’autre parce que cette altesse-là ne me plaît pas. Surtout si j’y ajoute ce que tu m’as confié au sujet de ses relations avec Youssoupoff !
— Je n’ai dit que ce que l’on m’a raconté. Il ne s’agit peut-être que d’un simple potin…
— Auquel tu as cru. Cela me suffit.
— Pour refuser d’y aller ? Il ne va tout de même pas te violer entre la poire et le fromage ? Tu as une demi-tête de plus que lui, fit Adalbert en riant.
— J’ai accepté : j’irai. Seulement j’essaierai de faire en sorte qu’il n’y ait pas de seconde fois…
Le lendemain, habillé avec une élégance tout officielle – redingote noire, gilet gris, col à coins cassés et cravate-plastron en épaisse soie grise piquée d’une sardoine gravée à ses armes –, Aldo embarquait dans la Rolls argentée du maharadjah qui, en quelques silencieuses minutes, le conduisit à l’hôtel Claridge.
C’était le plus récent des palaces parisiens puisqu’il avait été inauguré en 1919 et, bien sûr, le Claridge drainait une bonne partie de la clientèle jeune issue du cinéma ou du sport grâce aux services spéciaux qu’il offrait : un hammam et une ravissante piscine gréco-byzantine où se retrouvaient quelques-unes des plus jolies femmes de Paris. Mais, quand la Rolls y déposa Morosini, celui-ci put se demander un instant si d’aventure on ne l’aurait pas transporté aux Indes car l’entrée en était gardée par deux des jeunes aides de camp dont le maharadjah d’Alwar semblait posséder une véritable collection. Choisie avec soin cependant car ces jeunes hommes étaient à peu près de la même taille, vêtus de robes fluides qui les faisaient ressembler à des jets d’eau et tous possédaient des yeux de gazelle craintive qui intriguèrent le visiteur tout en lui donnant l’envie d’en savoir plus : ce potentat oriental n’était-il donc attiré que par les garçons ? En tout cas, il aurait juré que ceux-là en avaient peur…
Cependant ils devaient être des guerriers, étant armés de longs poignards dont sans doute ils n’hésiteraient pas à se servir sur un geste du maître. Pour l’instant, ils semblaient avoir pris possession de l’hôtel car l’un d’eux s’improvisa son guide tandis que deux autres gardaient l’entrée des ascenseurs, deux autres la sortie et encore deux autres la double porte fermant l’appartement du prince. Celui-ci occupait tout un étage d’où les
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