La Pierre angulaire
faites pour maudire Herbert le gros, la tête de taureau, et toute la race des buveurs de sang. Et les maçons, qui avaient repris les travaux au château après la fête, venaient battre et tourmenter les filles du village et faisaient main basse sur les volailles, car Herbert les payait mal.
Dieu garde le vilain
de seigneur qui boit
de seigneur qui bâtit
de seigneur qui fait la guerre
de seigneur qui vit sur sa terre
de seigneur qui prie Dieu
de seigneur qui ne le prie pas
de seigneur riche, de seigneur pauvre
de seigneur avare, de seigneur prodigue.
Que seigneur fasse mal ou bien
c’est tout un pour le vilain
car le bien il le fait aux siens,
et aux clercs et aux pèlerins,
et aux couvents et aux lieux saints,
aux chartreux et aux capucins,
aux mendiants et galériens,
le tout sur le dos du vilain.
Vilain n’a sur terre pour bonne chère
que bière amère avec eau claire
et pain rassis et fromage de brebis
et une soupe de pissenlit de quoi aller droit au paradis !
Dames du pays, qui portez couronnes de gui, et robe de la laine des brebis perdues, dames qui dansez sur les pierres blanches, dans la forêt à l’endroit maudit
dames qui effrayez nos chèvres et brebis
et guettez dans la nuit nos enfants petits,
et tirez nos quenouilles pour casser le fil
et jetez des serpents dans l’eau de nos puits,
Dames du pays,
faites venir la pluie
faites jaillir l’eau des sources taries,
faites ramollir la terre durcie
et monter la sève aux grappes flétries
et monter le lait aux mamelles sèches
et monter aux puits une eau claire et fraîche.
Dames du pays, nous vous offrirons
des galettes chaudes de blé dur et bon,
de nos larmes claires nous les salerons
de notre misère nous les pétrirons
Dames du pays, donnez-nous la pluie
Et ramenez l’eau aux sources taries.
La tête et les pieds nus, les femmes du village s’avançaient en file vers la forêt. La lune était haut dans le ciel. Dans la forêt chaude les bêtes hurlaient leur soif.
Près des pierres blanches, une forme humaine était étendue, longue et maigre, les bras rejetés en arrière et croisés derrière la tête. Les femmes s’étaient mises à genoux, tendant chacune sa galette en avant avec les deux mains. Elles n’avaient pas vu cette longue chose couchée dans l’herbe, ou l’avaient prise pour un soliveau. Et puis tout d’un coup la forme remua, s’assit, se leva lentement, et les femmes poussèrent un grand cri d’effroi, plusieurs se levèrent pour fuir.
C’était une femme aussi, ce fantôme, une grande femme maigre aux cheveux défaits – la demoiselle de Bernon. Elle était debout, immobile, et les regardait avec crainte. Elle était encore mal réveillée, et croyait rêver. Depuis trois jours, elle ne pouvait plus comprendre ce qui était un rêve et ce qui ne l’était pas.
« Demoiselle, cria Aubaine, femme du forgeron, faites venir la pluie, on sait que vous êtes amie des dames de cet endroit. »
Les autres femmes tendirent les bras vers Églantine, un peu rassurées de voir que les fées avaient pris la figure d’une personne qu’elles connaissaient. C’est parce que cette fille s’était liée avec les fées qu’il ne pleuvait plus depuis deux mois.
« Je ne peux rien, dit Églantine, laissez-moi. Je ne peux faire aucun bien. » Elle voulait s’enfuir dans la forêt, mais déjà les paysannes l’entouraient, l’arrêtaient.
« Ayez pitié, nos bêtes meurent de soif, nos hommes deviennent fous. Nos vignes sont perdues. »
Églantine se débattait. « Laissez-moi, ce n’est pas cela que je demande à Morgue. Je n’ai pas de pouvoir sur l’eau, j’ai soif moi-même.
— Elle boit nos larmes la nuit, cria Aubaine, elle boit le sang de nos bêtes. Femme, si tu ne fais pas venir la pluie on te tuera.
— Demoiselle, ton père était bon maître. Si tu tiens de lui, fais-le.
— On te connaît, c’est toi qui as fait venir la grêle au printemps.
— Nos hommes t’enfonceront un pieu dans le ventre si tu retiens encore l’eau du pays.
— Ils te cloueront à un chêne avec des fourches.
— Ha, pitié, pitié, cria Églantine en croisant les bras devant sa tête, je ne suis pas comme Flora, je ne suis qu’une âme damnée. Je ne sais rien faire, j’ai seulement damné mon enfant pour être amie des fées.
— Si tu es leur amie, prie-les avec nous, pour qu’un orage vienne avant deux jours. »
Églantine regardait d’un air perdu tous ces
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