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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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misère ! Nous ferons le tour des vignes et des prés en récitant des prières, pieds nus comme des pénitents. » Et avec des sanglots dans la voix, il entonna le cantique et marcha en avant la croix levée. Les hommes lui répondaient, c’était comme un grand murmure sourd et menaçant. Ils marchaient le long des vignes dans les ornières poudreuses, le prêtre en tête avec sa soutane brunie et ses cheveux noirs mal coupés tombant en frange autour de sa tonsure. Les hommes le suivaient, leurs bonnets à la main, les épaules voûtées, soulevant la poussière de leurs larges pieds nus et noirs.
    Du château, on entendait le refrain rapide et monotone de la chanson des maçons et les cris du contremaître. « Ho ! ha ! hisse ! à droite ! glissez la corde ! » Quelques femmes se joignirent à la procession. Elles poussaient des jurons à chaque cri du contremaître : « Hein, les païens, ce ne sont pas eux qui iront avec nous. Ce n’est pas de leur terre à eux qu’il s’agit. »
    Les veneurs d’Herbert sortaient de la forêt, portant deux sangliers abattus, liés sur des bâtons ; ils dépassèrent la procession, deux d’entre eux se signèrent, un autre cria : « Hé, les crasseux ! vos femmes sont allées prier le diable cette nuit ! » Le prêtre marchait toujours en avant, la croix levée, et les paysans suivaient à la file, faisant le tour des vignes et des prés.
L’ORAGE
    Le soir commençait à tomber. Il n’avait pas plu, l’air paraissait plus lourd que du plomb ; à Bernon, le puits était presque tari, il n’y avait rien à donner à boire ; aux chevaux et aux moutons. Le vieux Milon, intendant de la dame, avait envoyé quatre valets chercher de l’eau à Linnières ; la dame, avec ses servantes et sa petite fille, se tenait à la porte, guettant les nuages.
    « Pour sûr, il pleuvra demain », pensait-elle.
    Un groupe de paysans – une vingtaine d’hommes et quelques femmes – sortait de la forêt et s’avançait sur la grande clairière devant la ferme. « Ils viennent demander de l’eau », pensa la dame. Puis elle vit qu’ils portaient des bâtons et des fourches, et pas de seaux. C’étaient pour la plupart des garçons de Linnières, mais quelques-uns étaient du village de Bernon, et qui passaient pour les mauvaises têtes du pays. La dame prit peur, par ce temps les gens devaient être à bout et capables de Dieu sait quelle folie. Elle fit venir Milon près d’elle et dit aux servantes de rentrer.
    Déjà les paysans l’entouraient. Ils avaient enlevé leurs bonnets. « Dame, ce n’est pas pour vous faire offense, mais il nous faut la demoiselle, la fille du maître. À cause d’elle il ne pleut pas dans le pays.
    — Allez, dit la dame, vous croyez à des racontars de bonnes femmes. Vous feriez mieux d’aller prier Dieu.
    — On ne fait que ça. On dit qu’il a plu du côté de Jeugni. »
    Un des hommes s’était avancé, un grand diable dégingandé et grêlé, jeune, au long cou maigre. C’était André, le beau parleur du village.
    « Dame, vous voyez bien. Ça passera encore à côté aujourd’hui, ça ira pleuvoir sur les prés du couvent. Nos hommes disent et le curé aussi, ça passera toujours à côté tant que la demoiselle sera là. Ce n’est pas pour vous faire offense, mais il faut faire ça pour le pays. On n’en peut plus.
    — La demoiselle n’est pas là, dit la dame, voilà trois jours qu’elle n’est plus là, elle se sera perdue en forêt, je ne sais pas où elle est. »
    Les hommes se regardèrent, méfiants. La dame voyait tout près d’elle ces visages durs, comme faits de cuir, ces cheveux pleins de crasse ; les fronts bruns sous les franges mal coupées étaient couverts des gouttelettes de sueur. Il s’exhalait de ces corps fatigués une aigre odeur de bête fauve. La dame regardait les fourches qu’ils tenaient aux mains, les faucilles que portaient les femmes.
    « Allez-vous-en si vous craignez le péché, dit-elle. La demoiselle n’est pas ici, rentrez chez vous. Il pleuvra demain, sinon cette nuit.
    — Elle n’est pas là, dit André. Eh bien, on attendra. On ne s’en ira pas sans elle. » La dame fit apporter un tonnelet de bière et un bol et offrit à boire. Mais ils refusèrent. Ils restaient là, debout, à se regarder comme pour se demander ce qu’il fallait faire. La dame devinait qu’ils songeaient à fouiller la maison. « Viens, Mahaut, dit-elle à la plus âgée des

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