Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
Vom Netzwerk:
d’elle.
    La forêt était chaude et sentait la pourriture, les ruisseaux n’étaient plus que boue desséchée ; des marais pleins de vase, les perdrix et les coqs de bruyère s’envolaient lourdement pour retomber à dix pas de là. Dans les bauges dont l’odeur se sentait de loin, les sangliers somnolaient, plongés dans une boue chaude et fétide, Églantine était tombée sur eux en cherchant une source : les pieds dans la vase jusqu’à la cheville, elle avait écarté les branches des petits saules, et était restée là, à contempler les grosses bêtes immobiles, qui soufflaient avec bruit et la regardaient de leurs petits yeux sanguinolents, on eût dit que les esprits de la terre les avaient sculptés là, avec la boue et le limon du sol, de toute éternité, et leur avaient fait ces yeux rouges pour regarder à travers. Il semblait à Églantine que tout cela n’avait qu’un seul souffle et qu’un seul regard, ce sol limoneux faisait pousser et pousser toujours herbes et mousses et arbres et oiseaux et bêtes, et tout cela pourrissait et germait en même temps, et le même être immense regardait par tous les yeux, par tous les nœuds des arbres, tous les pores des feuilles, et par ses propres yeux aussi. Après tout, ce n’était peut-être pas si difficile d’être changée en oiseau.
    Mais la soif la tourmentait. Au bord des marais, en plongeant les mains dans les joncs noircis, elle n’avait trouvé que de l’eau pourrie et mêlée de vase. Elle en avait bu un peu dans le creux de sa main, et s’en était frotté le front et les cheveux ; mais cela sentait mauvais, c’était chaud et amer, et donnait encore plus soif. Là, il y avait des endroits où le soleil n’avait jamais pénétré, il y faisait moins chaud. Mais si lourd. À Bernon, la dame avait en réserve du vin et de la bière. « Elle me chassera, pensait Églantine. Mais elle me donnera à boire d’abord. Même à un lépreux elle eût donné à boire. Je n’entrerai même pas, je boirai un bol de bière à la porte. Et après je m’en irai. Ah ! ces femmes folles qui me demandaient la pluie quand Morgue ne veut même pas faire jaillir la moindre petite source pour moi. Mais même si je pouvais leur donner la pluie je ne le ferais pas, j’aimerais mieux mourir de soif moi-même. Change-moi en oiseau, Morgue, pour que je ne tombe pas aux mains de ces gens de race vile, moi qui suis fille de bonne race, fille d’une belle demoiselle aux cheveux blonds. Change-moi en oiseau et je boirai les yeux de leurs chèvres la nuit. Je tournerai autour de leurs petits enfants pour les égarer dans les marais. On m’a donnée à un vilain, moi qui suis fille de bonne race. »
    Le ciel se couvrait d’une brume blanche, mais le soleil brûlait toujours à travers, et pesait plus lourd que jamais sur la forêt haletante de chaleur. Églantine se traînait lentement le long des taillis desséchés.
    Le curé de Linnières était un homme du pays, et fort superstitieux, et croyait aux fées aussi fermement qu’aux saints. C’est pourquoi il n’avait pas empêché les femmes d’aller la nuit faire leur offrande aux fées. C’était un paysan, brun et noueux, au visage chevalin. Il était à genoux devant l’autel de sa petite église peinte à la chaux, ses lourdes mains jointes sur son chapelet de buis. Et il priait saint Cydroine, et sainte Madeleine, et sainte Anne en forêt, et leur reprochait amèrement leur dureté pour les pauvres gens. « Faut-il, saint Cydroine, disait-il, que par la faute d’un homme mauvais et maudit ce soient les pauvres gens qui souffrent de la famine ? Lui, le Gros, n’aura ni faim ni soif, il nous prendra plutôt notre pain jusqu’à la dernière bouchée, et si nous n’en avons plus il en achètera ailleurs. Faut-il brûler la forêt pour enfumer le loup ? »
    Et il se mit à dire l’office de none la révolte au cœur, et derrière lui les hommes de Linnières, harassés et mornes, priaient à voix basse, levant les yeux vers les petites fenêtres carrées de l’église ; des nuages qui allaient couvrir le ciel se dissipaient à nouveau : la journée allait finir sans pluie. Des gens racontaient qu’entre Troyes et Jeugni il avait plu, qu’au sud, vers Auxerre, il y avait eu un orage.
    Après none, le prêtre prit la croix de fer qui était derrière l’autel, et la leva au-dessus de sa tête. « Mes frères, allons dans les champs aujourd’hui encore. Que Dieu voie notre

Weitere Kostenlose Bücher