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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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forêt craquaient, que d’immenses rochers étaient précipités quelque part, tout près, sur un toit de fer. Et puis, ce fut un craquement, un bruit de branches, de battements d’ailes, des cris d’oiseaux effrayés.
    Terrifié, le petit groupe d’hommes en forêt ne bougeait plus, lances et fourches levées. Les chevaux renâclaient. Milon donna un coup de lance en pleine figure à un homme voûté qui se tenait devant Églantine. Il y eut un grand cri de douleur et les fourches se remirent en besogne. Il faisait presque nuit. Des nuages rouges d’incendie éclairaient le ciel. Et quelque part, tout près, là où la foudre était tombée, s’élevait déjà une flamme crépitante qui éclairait un nuage de fumée.
    André avait sauté sur un tronc d’arbre, travaillant de la fourche à pleins bras, dans le vide. « À mort ! À mort ! hurlait-il, tues-les ! tuez-les tous ! Ils ont bu notre sang ! À mort les loups ! » Et tous ces hommes et femmes étaient là, sur cette clairière entourée d’incendie, à hurler, comme des bêtes, de douleur et de colère.
    Puis un autre éclair les aveugla tous, et ils furent comme noyés de lumière blanche, et dans le fracas qui suivit, personne n’osa plus bouger ni respirer. La foudre était tombée du côté de Linnières, et les hommes qui pouvaient encore bouger laissèrent tomber leurs armes et se mirent à courir vers le village. Une femme et trois hommes étaient restés là, se tordant aux pieds des chevaux.
    Milon avait la jambe blessée, mais se tenait à cheval, il se pencha, et tira sur sa selle le corps d’Églantine, elle vivait encore, et s’était mise à crier horriblement dès qu’il l’eut touchée. La dame prit le cheval du petit Jean, encore valide. Ils remontèrent vers la ferme, trop en colère pour songer à porter secours aux blessés. La dame, du reste, était elle-même blessée à l’épaule, elle était tête nue, la robe déchirée. Et Églantine criait toujours, se débattant sur la selle de Milon.
    Le vent soufflait à l’ouest, vers Linnières. Les herbes sèches, les buissons, les taillis de mûres décharnés s’étaient enflammés comme de la paille. La forêt brûlait.
    Puis la pluie commença à tomber.
    À Bernon, on sentait la fumée et on entendait tout près le crépitement du feu. Mais le vent soufflait au sud-est, et il ne semblait pas y avoir de danger immédiat. Le village de Bernon, qui ne possédait en tout qu’une quinzaine de maisons un peu à l’écart de la grande ferme, était pourtant menacé, car le vent pouvait changer, et, malgré la pluie, le feu s’étendait toujours. Les paysans chassaient leurs moutons sur la route nouvelle qui menait vers Seuroi, pour gagner les prés. Les longues stries de la pluie étaient éclairées par les nuages de fumée blanche qui s’élevaient du côté de Linnières.
    Dans la grande salle de la ferme, deux chandelles de suif brûlaient, posées sur les hauts chandeliers de fer. Par les petites fenêtres carrées entrait une étrange lumière rougeâtre. Dans les enclos pour les bêtes, on entendait les moutons bêler, les chevaux renâcler et frapper du sabot, et hennir bruyamment ; c’étaient de longs hennissements angoissés et joyeux – les bêtes sentaient la pluie et étaient comme ivres. Les servantes couraient mettre baquets, brocs et auges devant la porte pour recueillir l’eau, et présentaient à la pluie leurs visages brûlants et leurs mains moites. Pâles et hâves dans la lueur du rideau de fumée blanche qui se levait sur la forêt, elles se signaient et récitaient leurs prières : « Ô sainte Marie, sainte Anne, faites que l’eau tombe et tombe encore, pour que le feu n’atteigne pas le village. » Des lièvres, des biches, des renards débouchaient sur la clairière, affolés par le feu, et tournaient en rond et couraient se tapir dans les buissons, et derrière les hangars ; et l’air était rempli du vol lourd des oiseaux du marais, qui battaient des ailes, butaient contre le toit, on les voyait tourner avec leurs grosses ailes noires et palpitantes, sur le fond du rideau de fumée. Le feu des éclairs noyait pour une seconde le tout dans sa lumière blanche, et les fils de la pluie s’allumaient, puis s’éteignaient à nouveau, et aussitôt un fracas assourdissant couvrait pour longtemps le vacarme de la forêt ; et les femmes poussaient des cris perçants et se bouchaient les oreilles.
    Par terre, près de l’âtre,

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