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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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plus où aller ailleurs. C’est un vœu que j’ai fait. Ça m’aide à tenir bon. Vous, ce n’est pas pareil.
    — Si je vous gêne, dit Bertrand, je peux aussi bien rester à Marseille. Si je crève plus vite seul, tant mieux.
    — Je le savais bien. Vous y revenez toujours. Ai-je fait la route avec vous jusqu’à Castres, et jusqu’à Pamiers, pour que vous me disiez cela ? »
    Ils s’étaient tus tous les deux.
    « Ah ! frère, dit Bertrand tout d’un coup d’une voix brisée, frère, ne le savez-vous pas ? Je ferais route avec vous jusqu’en enfer aussi bien, parce que je n’ai trouvé que vous pour avoir pitié de moi. Tant qu’on vit on veut être traité comme un homme. Pour vous, je suis encore un homme.
    — Oui, bien sûr, dit le vieux, bien sûr. Pour les gens qui voient, on est des pas grand-chose, bien sûr. »
II
UN ENFANT PRODIGUE
    Deux jours avant la fête des Rois, les trois pèlerins étaient assis dans le port, en train de manger leur pain avec de l’ail, lorsqu’une fille assez jolie, mais parée d’oripeaux par trop voyants et de gros colliers de bois peint, s’arrêta devant eux, les scrutant de ses yeux clignés et peints au charbon. Elle passa, puis revint, les regardant toujours d’un air perplexe.
    « Hé, toi, dit Auberi, furieux, si tu as quelque chose à nous donner, donne-le tout de suite, ou alors passe ton chemin. Ou te crois-tu juste assez belle pour des aveugles ?
    — Espèce de petit malappris, dit la fille, tu as des yeux, toi, mais ce n’est toujours pas pour toi que je me mettrais en frais. Seulement, voilà, il y a un garçon ici qui est en train de chercher par toute la ville un grand vieux borgne qui a la narine droite coupée, et un gamin qui pourrait bien être comme toi. Alors, ce vieux-là est peut-être bien celui qu’il cherche.
    — Un garçon qui nous cherche ? Pour quoi faire, d’abord ? On n’a rien volé à personne.
    — Ça ce n’est pas mon affaire, petit poulet, mais je voudrais bien rendre service à ce garçon, parce qu’il est bien brave, et un beau gars aussi ; et un ami à vous, sûrement. Un beau blond, bavard comme une pie. Il est de Montélimar, je crois. »
    Auberi en resta un moment comme suffoqué. Puis il courut vers le vieux et le serra dans ses bras à l’étouffer, puis il courut encore vers la fille et l’embrassa sur les deux joues.
    « C’est Riquet, mon seigneur ! C’est Riquet ! Bien sûr que c’est Riquet ! Dis-moi vite où il est, amène-le, ma belle fille, j’irai avec toi pour l’amener. C’est Riquet qui est là, monsieur Bertrand. »
    Les deux aveugles n’avaient pas bien entendu la conversation et ne comprenaient pas l’émoi d’Auberi. « Riquet ? Tu vois Riquet ? .
    — Il est là, il est là, je suis sûr que c’est lui. Je vais l’amener. Attendez-moi, je vais vous l’amener tout de suite.
    — Hé, Crois-tu que je sais où il est, maintenant ? s’écria la fille. Il doit courir la ville avec des baladins de sa sorte. Est-il un évêque pour rester en place en son palais ? Je ne sais seulement pas quand je le verrai. »
    Auberi était déjà prêt à pleurer. « Oh ! si, viens, on le trouvera bien. Puisque tu l’as vu. Tu sais avec quelles gens il se trouve. Tu me diras. 
    — Eh ! j’ai autre chose à faire. Si je le vois, je vous l’enverrai ici.
    — Oh ! non, ma belle, ma jolie, ma petite colombe ! Viens, tu le trouveras sûrement. Ce ne sera pas long. Tu verras, ce ne sera pas long. »
    Devant les grands yeux pleins de larmes de l’enfant, la fille haussa les épaules, puis prit Auberi par la main. « Viens, on va essayer la place du marché. S’il n’y est pas, je ne cherche pas plus loin. »
    Auberi courait si vite que la fille avait peine à le suivre.
    Les aveugles étaient seuls, à présent. « Ne dirait-on pas, pensait le vieux, qu’il a retrouvé Dieu sait quel trésor ? Un écervelé qui nous a lâchés pour courir les filles. La jeunesse aime la jeunesse, bien sûr. » « Frère. — Oui ? — Vous l’aimiez, ce Riquet ?
    — Je n’aimais rien ni personne alors. À présent non plus, du reste. Je crois qu’il avait une belle voix. »
    Deux heures plus tard, Auberi revenait, suspendu littéralement au cou de Riquet. Riquet, bruni, maigri, cheveux au vent, avec une belle barbe courte et bouclée au menton, avait assez fière allure, malgré son bizarre accoutrement : il portait des braies cousues de deux morceaux, si

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