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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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Et à la grande indignation de la servante et des valets de l’auberge accourus à la porte, le vieux ramassa son bâton et s’avança dans la rue d’un pas traînant suivi de Bertrand et d’Auberi. Une demi-heure après, ils étaient installés sous le narthex de la cathédrale.
    Assis sur les dalles, les coudes aux genoux, les poings au menton, le vieux écoutait, de loin, les paroles de l’office de complies. La cathédrale, encore pauvrement illuminée, était toute grouillante d’une foule silencieus e à la foi s recueillie et agitée ; soupirs, grincements de chaussures, reniflements, chuchotements, tout cela formait un bruit confus dans lequel on ne distinguait pas toujours les paroles du prêtre. Mais la grave mélodie des psaumes chantés par le chœur remplissait les voûtes et parvenait jusqu’au narthex, répétée par l’écho.
    Ansiau ne pouvait pas bien distinguer les paroles, mais il les connaissait, sans les comprendre tout à fait.
    Scapulis suis obumbravit tibi, et sub pennis ejus sperabis. —  Ô Seigneur vous êtes mon espoir.
    Non accedet ad te malum, nul mal ne t’arrivera, nul mal ne s’approchera de ta demeure.
    …  In manibus portabunt te ne forte offendas ad lapidem pedem t uum.
    …  Cadent a latere tuo mille et decem millia a dextris tuis.
    Mille tomberont à tes côtés et dix mille à ta droite… Seigneur, ils sont tombés dix mille et plus, et de ceux que j’ai le plus aimés, et que m’a servi d’avoir été épargné ? Il faut croire que vous l’avez voulu.
    Ils te porteront sur leurs mains —  Seigneur, j’ai buté contre toutes les pierres du chemin et mes pieds sont tout meurtris et mon corps aussi. Mon cœur a buté contre toutes les pierres du chemin.
    Super aspidem et basiliscum ambulabis.
    Tu marcheras sur le serpent et le basilic.
    Tu écraseras le lionceau et le dragon sous tes pieds.
    … Quoniam cognovit nomen meum. —  Je n’ai pas connu votre nom, car je suis un pauvre homme, et ignorant. Grande amertume est votre nom pour qui s’attache à la créature.
    Quand on n’a plus le droit d’aimer ce qu’on aime, il faut que le cœur meure.
    Voilà plus d’un an que, par le gel et le soleil brûlant, par le vent et la pluie, la boue et les routes pierreuses, mon corps s’use de fatigue et mes yeux sont déjà morts, et ma tête est vidée par la fatigue et la faim, mais il faut plus que cela pour tuer le cœur. Il a suffi d’un nom entendu au hasard dans un tumulte de voix étrangères. Eh ! Dieu, c’est un nom comme un autre, pas fréquent bien sûr, mais il peut bien y avoir cent femmes portant ce nom, et même mille femmes. Et quand même ce serait elle, je ne tournerais pas la tête, je ne m’arrêterais pas une seconde.
    Tu n’auras pas peur des terreurs de la nuit
    Ni de la flèche qui frappe en plein jour
    Ni de l’effroi qui vient dans le noir
    Ni du mal qui détruit en plein midi.
    Et c’est vrai que je n’ai plus peur de rien, Seigneur, mais voilà que mon cœur est plus faible que moi. Et je n’ai plus peur de rien Seigneur, et c’est vrai ; car je ne peux plus rien désirer.
    Pour que ton pied ne heurte pas contre les pierres.
    Seigne ur vous avez vous-même refusé d’être porté par les anges et vous avez meurtri vos beaux pieds aux pierres du chemin. C’est pour cela que vous êtes venu naître dans une étable par une nuit d’hiver. Puisqu’il est vrai que vous aimez mon enfant perdue plus que je ne l’aime, vous l’accueillerez comme vous avez accueilli l’enfant prodigue ; mais moi, mon cœur est usé et mon amour est comme une plaie où la chair est déjà toute morte et pourrie.
    Devant l’immense chant de triomphe qui montait de toutes parts, qui emplissait à présent la place et les rues environnantes, les deux aveugles restaient là, perdus et comme ivres, serrés dans leur coin et répétant avec les autres les Gloria et les Alléluia  – puis ils se trouvèrent, à tâtons, et s’embrassèrent sur les deux joues, paisiblement, comme s’ils avaient été deux frères prêts à aller après la messe de minuit prendre part au réveillon au milieu de leur famille et de leurs amis. Rien ne les attendait dehors qu’une nuit froide et l’espoir de quelques aumônes. Dans les cours des couvents et des hôpitaux, les pauvres se bagarraient déjà pour leur place à table. Auberi ne l’oubliait pas, lui, qui défaillait presque de fatigue et de faim. Mais les deux vieux avaient encore dans leur

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