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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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vous démangent d’envie de rire.
    Et Ernaut apprit vite à rire presque autant que son frère. Il en était un peu étonné lui-même, jamais il n’avait eu de camarade aussi gai ni d’humeur aussi insouciante. Au début, Ernaut ne lui avait pas ménagé rebuffades et réponses aigres-douces, et prenait en mauvaise part la moindre plaisanterie. Il eut vite fait de voir que c’était peine perdue, Haguenier haussait les épaules, et puis venait faire la paix un quart d’heure après, quitte à demander pardon.
    Ils allèrent ensemble à Puiseaux, et tout au long de la route Ernaut supplia son ami de ne pas parler à Ida et de ne rien faire pour lui plaire : il était, d’avance, follement jaloux, mais ne pouvait résister à l’envie de faire voir à son frère combien Ida était belle. « Il n’y en a pas deux comme elle, disait-il. Elle a des yeux comme le soleil, des cheveux comme le soleil aussi. Si douce aussi, quand elle vous regarde, que cela vous retourne le cœur. Aussi vrai que je vis, je n’ai jamais eu de goût pour aucune femme, si ce n’est pour elle. » Haguenier trouva que Joceran de Puiseaux et sa femme étaient des hôtes fort agréables, mais Ida ne lui plut pas du tout – pour lui, ce n’était qu’une jeune fille un peu grasse, d’allures campagnardes, et pauvrement vêtue, mais ce qui lui déplut surtout en elle, c’était son indifférence manifeste à l’égard d’Ernaut ; ce dernier devait vraiment faire des efforts héroïques pour garder ses illusions. « Une autre à sa place se fût estimée trop heureuse d’être aimée ainsi, pensait Haguenier. Il faut qu’elle soit faite de bois ; un garçon comme Ernaut ne serait pas à dédaigner même pour une fille de comte. » Il se garda bien de faire part de ses impressions à son frère, mais à partir de ce jour Ernaut l’admira encore plus qu’auparavant : dans le fait qu’Haguenier n’était pas tombé amoureux d’Ida il voyait une grande preuve de loyauté fraternelle.
    Herbert sentait comme un pincement au fond de son cœur quand il entendait le rire d’Ernaut. « C’est ingrat, pensait-il, à cet âge-là ils n’ont que folie en tête. Allez donc élever ces fils de chienne, et dépenser pour eux et argent et pain et tissu de. laine. Ça n’a pas plus de cœur qu’une buse, on les dresse pour rien. »
    « Beau fils Ernaut, dit-il, je vous vois sage et bien avisé. À vous voir on ne l’aurait pas cru. Je suis bien content de vous voir si prudent. »
    Ernaut se taisait, tournant et retournant son gant entre ses doigts ; il connaissait trop bien le goût amer des louanges de son père. Herbert lui mit la main sur l’épaule.
    « Mon beau fils sait bien qui sera le maître ici après ma mort. Il sait bien qu’on gagne plus à servir un jeune maître qu’un vieux. »
    Ernaut lui lança un regard sombre de dessous ses cheveux drus.
    « Vous parlez mal, dit-il.
    — Pierre est bien plus simple que vous, dit encore Herbert. Quand un homme se fait vieux, il n’y a plus ni joie ni profit à le servir. Mais je ne suis pas si vieux, beau fils, bien que je sois gros.
    — Vous ne parlez pas comme il faut, dit Ernaut à mi-voix.
    — J’ai trente-sept ans, beau fils. Mais les pères qui ont de grands enfants ont tort de vivre vieux. Pierre est un garçon simple, il ne comprend pas ça. Et je m’en souviendrai. N’importe, je suis bien content de voir que vous ne perdrez pas grand-chose par ma mort, »
    C’en était trop pour Ernaut. Il s’était redressé et hérissé comme un chat sauvage. « Ce que je perdrai par votre mort – si jamais je la vois – vous ne le savez pas, et personne ne le sait, sinon Celui qui sait tout ! Et je ne vous laisserai pas rire de moi, tête de taureau. Allez chercher qui vous aime mieux que moi, vous chercherez jusqu’à la Noël et jusqu’au Jugement dernier ! » Il éclata en sanglots et s’enfuit de la pièce. Et pendant trois jours il fut très froid avec Haguenier, et n’adressa la parole à son père que pour dire oui ou non. Herbert ne s’offensait jamais des mauvaises humeurs d’Ernaut. Il disait : « Le garçon est amoureux, ça lui aigrit le sang, » À part lui il pensait : « J’ai bien fait de lui parler, il verra qu’il doit se méfier de son frère. »
    Les deux jeunes gens couchaient sur le même lit, et se parlaient toujours avant de s’endormir. Ernaut était d’humeur trop vive pour cacher longtemps sa pensée. Il dit

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