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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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à Haguenier : « À cause de vous j’ai avalé un breuvage bien amer. On ne m’y reprendra plus. Je me suis fait blâmer et passer pour un traître à cause de vous. »
    Haguenier dit : « Je n’y suis pour rien.
    — Jurez-moi, dit Ernaut, jurez-moi par feu votre mère, et par votre dame, et par la croix, et par sainte Marie, dites : que ma mère soit écorchée et écartelée par les diables dans l’autre monde…
    — Dieu ! dit Haguenier, je ne le dirai jamais. Que voulez-vous que je jure ?
    — Jurez-moi d’abord, dit Ernaut.
    — Dites ce que c’est. On m’a appris à ne jamais jurer sans savoir pourquoi.
    — Bon, dit Ernaut, je vous le dirai : mais promettez-moi de ne pas en parler. Jurez-moi que vous ne voulez pas de mal au père.
    — Mais je vous le jure, dit Haguenier surpris. Par tout ce que vous voudrez. Par ma mère, si vous voulez. Ce sont des gens qui me veulent du mal qui vous auront mis ces idées dans la tête. Je n’ai jamais voulu de mal au père – et Dieu sait pourtant… beau frère, c’est lui qui ne m’aime pas beaucoup.
    — Ne dites pas cela. Je me suis fait blâmer à cause de vous, pour votre amitié. Le père n’est pas sot, il a plus de tête qu’un évêque. Il sait deviner les pensées d’un homme ; moi, je ne le sais pas.
    — Cela me fait de la peine, dit Haguenier. Si vous écoutez ce que l’on vous dit de moi, ne me parlez jamais. Je n’aimerai jamais les gens qui me croient faux. Dieu sait que je ne suis pas faux. »
    Il y eut un long silence. À la fin Ernaut demanda : « Vous dormez ?
    — Je voudrais bien dormir, dit l’autre. Je suis trop triste pour dormir. Je vois qu’on ne m’aime pas ici. Je ferai en sorte de vivre toujours à Troyes ou chez ma sœur, ou d’aller en d’autres pays. Le père ne vous blâmera plus à cause de moi, ni vous ni personne.
    — Je vois bien, dit Ernaut, que vous cherchez à me monter contre le père.
    — Dites ce que vous voulez. Je sais bien, quand j’étais à Hervi je courais pieds nus comme un paysan, et vous aviez du pain blanc tous les jours, et ma mère était avec les servantes et la vôtre en bas avec les femmes du père. Je ne vous en ai jamais voulu pour ça, Dieu le sait. Dieu le sait. Je n’ai pas de mauvaises pensées, Dieu le sait. Mais pour vous, loyauté et courtoisie ne valent pas deux noix. Je ne vous en fais pas de reproche, mais c’est tant pis pour vous. »
    Après un autre silence, plus long que le premier, Ernaut dit encore une fois : « Vous dormez, beau frère ?
    — Non.
    — Frère. J’ai le cœur très gros. Je sais que je n’ai pas longtemps à vivre.
    — Qui vous l’a dit ?
    — Moi-même. Parce que si jamais Ida couche dans le lit d’un autre homme je me tuerai. Je le sais.. Je vous aime bien, frère. Si vous me faites des reproches, vous le regretterez quand je serai mort. »
    Et Haguenier se mit à lui prouver qu’Ida n’épouserait jamais un autre homme. Le lendemain, les deux frères se trouvaient être plus unis que jamais.
DEMOISELLES ET DAMOISEAUX
    La grande litière rouge d’Herbert dévalait lentement la pente du pré de Linnières.
    Les jeunes gens étaient partis en avant avec toute la troupe des jeunes et vieux écuyers, et la dame Aelis, avec ses demoiselles et ses valets, les suivait de près. Elle devait passer par Puiseaux et par Bercen pour emmener avec elle les dames et demoiselles des deux châteaux, car Herbert les invitait à la fête et offrait de les loger à ses frais.
    À Puiseaux, la dame Brune rangeait dans les coffres les robes de fête des jeunes filles, et Ida et Mainsant montaient tout le temps sur le mur pour voir si la dame Aelis n’était pas sur la route : elles n’étaient jamais encore allées à Troyes. « Dis, tu tiendras l’écu d’Ernaut ? » demandait Mainsant. Ida haussait les épaules : sa cousine la taquinait tant avec cet Ernaut qu’elle en avait assez de lui depuis longtemps. « Tu crois que le bachelier m’a regardée, l’autre jour ? — Penses-tu ! C’est un ami d’Ernaut. — Il ne t’a toujours pas regardée, toi. — Peuh ! tu sais, on dit qu’il couche avec des bergères. — C’est peut-être Ernaut qui le dit. »
    Le guetteur cria : « La dame de Linnières sur la route ! » Les jeunes filles dégringolèrent le mur, comme deux moineaux effarouchés. Joceran les attendait près du puits. « Mes tourterelles, dit-il, allez vite natter vos cheveux et dites à

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