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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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Mon père, même les crapauds, même les mouches peuvent voir le soleil. Ce que je vous dis là, je ne l’aurais jamais dit à personne ; je n’aime pas me plaindre. Mais vous êtes plus savant que moi, dites-moi pourquoi Dieu m’a fait cela ? »
    Le prêtre ne répondait rien, et Ansiau baissait la tête toujours plus bas ; il lui semblait que toutes ses pensées cachées étaient écrites sur sa figure depuis qu’elle n’avait plus d’yeux pour la protéger ; et il avait honte d’être examiné par un homme qu’il ne pouvait pas voir.
    « Fils, dit enfin le prêtre, nous sommes ici sous la garde de saint Pierre, et je vois que vous l’honorez et le priez, ce qui est très bien. Vous avez du bon sens, car saint Pierre est un si grand saint que les lourdes et terribles clefs du paradis lui sont confiées, et qui il juge bon il y laisse entrer. Sachez qu’après notre très douce et très pure Dame Marie, la Reine Couronnée, c’est lui qui est notre grand intercesseur auprès de Dieu, car il a au ciel une place qu’aucun autre saint ne pourra jamais obtenir, si grandes merveilles qu’il fasse. Car devant Dieu il y a douze trônes tout faits d’or et de lumière, pour les douze saints apôtres, et de ces apôtres c’est saint Pierre qui est le plus haut en dignité. Et la beauté de ces douze trônes, vous ne pourrez jamais l’imaginer, car il ne faut pas croire que ce sont douze chaises ornées de pierreries comme vous en voyez aux rois et aux évêques, mais sûrement de hautes gloires spirituelles auprès de la beauté desquelles cette beauté du monde que vous regrettez tant n’est que fumier.
    » Pensez-vous, fils, que saint Pierre ait été un pécheur comme nous ? Sachez que c’était un homme pur de toute tache, et il s’en est fallu de bien peu qu’il n’ait été un homme parfait, car il n’a commis qu’un seul péché dans toute sa vie. Et encore, quand il fut tenté par le diable, venu à lui sous forme de la servante du grand prêtre, il n’a pas renié Dieu par lâcheté, ni par aucun autre mauvais sentiment, mais seulement parce qu’il s’était trop fié en sa force, et que Dieu avait voulu lui donner une leçon. Et encore, fils, sachez qu’aucun pécheur, fût-il parricide, aucun juste repentant, fût-ce la sainte Marie-Madeleine, n’a autant pleuré sur ses péchés que saint Pierre n’a pleuré sur cette seule faute ; ce sont des larmes de feu et de sang, sûrement, qu’il a versées sur son péché, et jusqu’à sa mort il ne se l’est pas pardonné. Vous voyez donc, fils, qu’il y avait loin de lui à vous, et pourtant, « quand il est devenu vieux un autre l’a pris par la main et l’a mené là où il ne voulait pas », et croyez-vous qu’il ait dit alors ; « Je ne l’ai pas mérité ? »
    Ansiau écoutait, les coudes posés sur la table, et son œil mort clignotait ; il luttait contre les larmes.
    « Et voilà la grande leçon, fils, que nous donnent saint Pierre et tous les saints. C’est qu’on ne gagne pas la joie par la bonne vie et le bien manger et le bien boire, mais par de telles angoisses et martyres que les cheveux vous hérissent sur la tête rien que d’y penser. Si jamais vous avez vu écorcher ou écarteler un criminel, pensez-y, et n’oubliez pas que les saints martyrs ont été aussi traités de cette façon. Et sachez que quand saint Pierre a livré son corps à la grande angoisse de la mort, il a demandé à ses bourreaux de le crucifier non comme Notre-Seigneur – ce qui est déjà une souffrance sans nom – mais la tête en bas, ce qui est encore plus dur et plus honteux. Voilà comme il se jugeait digne d’être traité, après la très sainte vie qu’il a menée ! Et après cela, ami, quelle souffrance et quelle honte avez-vous encore à craindre sur cette terre ? Allez, et ne vous dites pas malheureux. Et s’il vous arrive pire, ne le tenez pas pour un mal mais pour un bien. »
    Le brave curé avait obtenu ce qu’il voulait : le vieux pensait à présent à saint Pierre et son cœur se serrait de pitié. «  Simon-Pierre, m’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci ?… Quand tu seras vieux, un autre te ceindra, et te mènera là où tu ne veux pas. – Seigneur, vous savez bien que je vous aime. » À côté d’un tel amour qu’était sa pauvre souffrance à lui, pour une petite boule de chair et d’eau, un nerf mort ? il n’était pas le premier ni le dernier à qui cela arrivait. Et après

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