La pierre et le sabre
ça ?
Essoufflé par sa course, la face
empourprée, il parlait d’un ton belliqueux bien qu’il apparût clairement qu’il
était au bord des larmes.
Musashi ne put s’empêcher de rire
de son accoutrement. Il avait troqué les vêtements de travail de la veille pour
un kimono ordinaire, mais trop petit de moitié pour lui ; le bas arrivait
à peine aux genoux, et les manches aux coudes. A son côté pendait un sabre de
bois plus grand que lui ; sur son dos, un chapeau de vannerie aussi large
qu’un parapluie.
Tandis qu’il reprochait à grands
cris à Musashi de l’avoir laissé, il éclata en sanglots. Musashi le serra dans
ses bras et tenta de le consoler mais l’enfant continuait de gémir : il semblait
se dire que dans les montagnes, loin de tous les regards, il pouvait se laisser
aller.
Enfin, Musashi lui demanda :
— Ça te fait du bien de
pleurnicher comme ça ?
— Ça m’est égal !
sanglotait Jōtarō. Vous êtes une grande personne, et pourtant vous m’avez
menti. Vous m’avez dit que vous me permettriez d’être votre disciple... et puis
vous êtes parti en me laissant. Est-ce que les grandes personnes se conduisent
comme ça ?
— Pardonne-moi, dit Musashi.
Cette simple excuse transforma les
pleurs de l’enfant en une plainte suppliante.
— ... Tais-toi, maintenant,
dit Musashi. Je ne voulais pas te mentir, mais tu as un père et tu as un
maître. Je ne pouvais t’emmener avec moi sans le consentement de ton maître. Je
t’ai dit d’aller lui parler, n’est-ce pas ? Je ne croyais pas qu’il serait
d’accord.
— Pourquoi n’avez-vous pas au
moins attendu la réponse ?
— C’est de cela que je te
demande pardon. En as-tu vraiment parlé avec lui ?
— Oui.
S’étant rendu maître de ses
sanglots, il cueillit deux feuilles à un arbre, et se moucha avec.
— Et qu’est-ce qu’il a dit ?
— Il m’a dit de partir.
— Vraiment ?
— Il a dit qu’aucun guerrier,
aucune école d’entraînement qui se respectent ne prendraient un garçon comme
moi ; mais puisque le samouraï de l’auberge était un « faible »,
il devait être juste la personne qu’il fallait. Il a dit que peut-être vous
pourriez m’employer pour porter vos bagages, et il m’a donné ce sabre de bois
pour cadeau de départ.
Ce raisonnement de l’homme fit
sourire Musashi.
— ... Après ça, poursuivit l’enfant,
je suis allé à l’auberge. Le vieux n’était pas là ; alors, j’ai seulement
emprunté ce chapeau en le décrochant de sous l’auvent.
— Mais c’est l’enseigne de l’auberge !
Dessus, il y a marqué « chambres à louer ».
— Oh ! ça m’est égal. J’ai
besoin d’un chapeau en cas de pluie.
L’attitude de Jōtarō
montrait clairement qu’en ce qui le concernait l’on avait échangé toutes les
promesses, tous les serments nécessaires, et qu’il était maintenant le disciple
de Musashi. Sentant cela, Musashi se résigna à s’embarrasser plus ou moins de l’enfant ;
mais il lui venait en outre à l’esprit que c’était peut-être la meilleure des
choses. En vérité, lorsqu’il songeait au rôle que lui-même avait joué dans la
disgrâce de Tanzaemon, il en concluait que peut-être il devait être reconnaissant
de l’occasion qui s’offrait à lui de s’occuper de l’avenir de l’enfant.
Jōtarō, maintenant calme
et rassuré, se rappela quelque chose et fouilla dans son kimono.
— ... J’allais oublier. J’ai
quelque chose pour vous. Voilà.
Il sortit une lettre.
La regardant avec curiosité,
Musashi demanda :
— Où as-tu eu ça ?
— Rappelez-vous : hier
au soir, j’ai dit qu’il y avait un rōnin en train de boire à la boutique,
et qui posait des tas de questions.
— Oui.
— Eh bien, à mon retour il
était encore là. Il n’arrêtait pas de poser des questions sur vous. C’est un
sacré buveur, par-dessus le marché : il a bu à lui seul une pleine
bouteille de saké ! Après quoi, il a écrit cette lettre et il m’a demandé
de vous la donner.
Musashi, inclinant la tête avec
perplexité, brisa le cachet. D’abord, il regarda le bas de la lettre et vit qu’elle
était de Matahachi, qui devait être ivre, en effet. Les caractères eux-mêmes
vacillaient. A la lecture du rouleau, Musashi éprouva un mélange de nostalgie
et de tristesse. Non seulement l’écriture était chaotique, mais le message
lui-même était décousu, imprécis.
Depuis que je t’ai
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