La pierre et le sabre
laissé au mont Ibuki, je n’ai pas
oublié le village. Et je n’ai pas oublié mon vieux copain. Par hasard, j’ai
entendu ton nom à l’Ecole Yoshioka. Sur le moment, je ne savais pas si je devais
essayer de te voir. Maintenant, je suis chez un marchand de saké. J’ai beaucoup
bu.
Jusqu’ici, le
sens était assez clair, mais ensuite, la lettre était difficile à suivre.
Dès l’instant que je me suis séparé de toi, j’ai été
maintenu dans une cage de luxure, et l’oisiveté m’a rongé les os. Durant cinq
ans j’ai passé mes journées dans l’hébétude, à ne rien faire. Dans la capitale,
tu es maintenant un célèbre homme d’épée. Je bois à ta réussite !
Certaines gens disent que Musashi est un lâche, qui ne sait que prendre la
fuite. D’autres disent que tu es un incomparable homme d’épée. La vérité
là-dessus m’est égale, je suis seulement heureux que ton sabre fasse jaser les
gens de la capitale.
Tu es adroit. Tu devrais pouvoir faire ton chemin avec
le sabre. Mais avec le recul, je m’étonne de moi-même, de ce que je suis devenu.
Je suis un idiot ! Comment un misérable imbécile tel que moi pourrait-il
affronter un sage ami comme toi sans mourir de honte ?
Mais j’attends un peu ! La vie est longue, et il
est trop tôt pour dire ce que l’avenir apportera. Je ne veux pas te voir pour
le moment, mais un jour viendra où je le voudrai.
Je prie pour ta santé.
Suivait un post-scriptum griffonné
en hâte, l’informant assez en détail que l’Ecole Yoshioka prenait au sérieux l’incident
récent, recherchait partout Musashi, et qu’il devait faire attention. Cela se
terminait ainsi : « Il ne faut pas mourir maintenant que tu commences
à peine à te faire un nom. Quand j’aurai moi aussi fait quelque chose de ma
vie, je veux te voir pour parler du bon vieux temps. Prends soin de toi,
garde-toi vivant pour me servir d’exemple. »
Nul doute que les intentions de
Matahachi étaient pures, mais son attitude avait quelque chose de retors.
Pourquoi faire un si grand éloge de Musashi, et tout de suite après tant
insister sur ses propres défauts ? « Pourquoi, se demandait Musashi,
ne pouvait-il se borner à dire que nous ne nous sommes pas vus depuis
longtemps, et que nous devrions bien nous rencontrer pour bavarder longuement ? »
— Jō, as-tu demandé à
cet homme son adresse ?
— Non.
— Est-ce qu’on le connaissait
à la boutique ?
— Je ne crois pas.
— Il y venait souvent ?
— Non, c’était la première
fois.
Musashi se disait que s’il avait
connu l’adresse de Matahachi, il serait aussitôt retourné à Kyoto le voir. Il
voulait parler à son camarade d’enfance, tâcher de le ramener à la raison,
réveiller en lui l’état d’esprit qui avait jadis été le sien. Il considérait
toujours Matahachi comme son ami ; aussi eût-il aimé l’arracher à son
humeur actuelle avec ses tendances apparemment autodestructrices. Et, bien sûr,
il eût aussi désiré pousser Matahachi à expliquer à sa mère quelle erreur elle
était en train de commettre.
Tous deux poursuivaient leur route
en silence. Ils descendaient la montagne vers Daigo, et l’on voyait au-dessous
d’eux le carrefour de Rōkujizō.
Soudain, Musashi se tourna vers l’enfant
et dit :
— Jō, je veux que tu me
rendes un service.
— Lequel ?
— Je veux que tu me fasses
une commission.
— Où ça ?
— A Kyoto.
— Ça veut dire : faire
demi-tour pour retourner à l’endroit d’où je viens.
— C’est ça. Je veux que je tu
ailles porter une lettre de ma part à l’Ecole Yoshioka, avenue Shijō.
Jōtarō, tout déconfit,
donna un coup de pied dans un caillou.
— ... Tu ne veux pas y aller ?
demanda Musashi en le regardant droit dans les yeux.
Jōtarō secoua la tête
avec hésitation.
— Ça m’est égal d’y aller,
mais est-ce que vous ne faites pas ça uniquement pour vous débarrasser de moi ?
Cette suspicion donna du remords à
Musashi : n’avait-il pas brisé la confiance de l’enfant à l’égard des
adultes ?
— Non ! répondit-il avec
force. Un samouraï ne ment pas. Pardonne-moi pour ce qui s’est produit ce
matin. C’était un simple malentendu.
— Bon. J’irai.
Au carrefour dit de Rokuamida, ils
entrèrent dans une maison de thé, commandèrent du thé et déjeunèrent. Musashi
écrivit ensuite une lettre qu’il adressa à Yoshioka Seijūrō :
J’apprends que
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