La pierre et le sabre
sans transition sa
question :
— ... Vous vous appelez
comment ?
La jeune fille éclata de rire et
lança un coup d’œil amusé, par-dessus la tête du jeune garçon, au samouraï. Le
guerrier bourru fit chorus en découvrant sous sa barbe une rangée de solides
dents blanches.
— En voilà des manières !
Quand tu demandes à quelqu’un son nom, la simple politesse veut que tu déclines
le tien d’abord.
— Je m’appelle Jōtarō.
Ce qui provoqua un nouvel éclat de
rire.
— ... Ce n’est pas juste !
s’écria Jōtarō. Vous m’avez fait dire mon nom mais je ne connais
toujours pas le vôtre. Vous vous appelez comment, monsieur ?
— Je m’appelle Shōda, répondit
le samouraï.
— Ce doit être votre nom de
famille. Quel est votre autre nom ?
— Tu voudras bien te passer
de celui-là.
Sans se décourager, Jōtarō
se tourna vers la jeune fille en disant :
— A votre tour, maintenant.
Nous vous avons dit nos noms. Il serait mal élevé de ne pas nous dire le vôtre.
— Je m’appelle Otsū.
— Otsū ? répéta Jōtarō.
Un moment, il parut satisfait ;
mais il reprit son bavardage :
— ... Pourquoi est-ce que
vous vous promenez avec une flûte dans votre obi ?
— Oh ! j’en ai besoin
pour gagner ma vie.
— Vous êtes flûtiste de
métier ?
— Mon Dieu, je ne suis pas
sûre qu’il y ait des flûtistes de métier ; mais l’argent que je gagne en
jouant me permet de faire de longues randonnées comme celle-ci. Tu peux donc
parler de métier.
— Vous jouez de la musique
comme celle que j’ai entendue à Gion et au sanctuaire de Kamo ? De la
musique pour les danses sacrées ?
— Non.
— C’est de la musique pour d’autres
sortes de danses... le Kabuki, peut-être ?
— Non.
— Alors, quel genre de
musique est-ce que vous jouez ?
— Oh ! de simples
mélodies ordinaires.
Cependant, le samouraï s’étonnait
du long sabre de bois de Jōtarō.
— Qu’est-ce que tu as donc
là, passé à ta ceinture ?
— Vous n’avez jamais vu de
sabre de bois ? Je vous croyais samouraï.
— Oui, j’en suis un, mais je
m’étonne de te voir porter un sabre de bois. Explique-moi donc ça.
— Je vais étudier l’escrime.
— Vraiment ? Et tu as
déjà un maître ?
— Oui.
— C’est lui, le destinataire
de la lettre ?
— Oui.
— Si c’est ton maître, il
doit s’agir d’un véritable expert ?
— Pas à ce point-là.
— Que veux-tu dire ?
— Tout le monde raconte qu’il
est faible.
— Et ça ne te gêne pas d’avoir
un homme faible pour maître ?
— Non. Je ne vaux pas
grand-chose au sabre non plus ; aussi, ça n’a aucune importance.
Le samouraï avait peine à cacher
son amusement. Sa bouche tremblait comme s’il allait sourire, mais ses yeux restaient
graves.
— As-tu appris des techniques ?
— Mon Dieu, pas précisément.
Je n’ai encore rien appris du tout.
Le rire du samouraï éclata enfin.
— Marcher en ta compagnie
fait paraître le chemin plus court !... Et vous, ma jeune dame, où donc
allez-vous comme ça ?
— A Nara, mais je ne sais pas
où au juste dans cette ville. Il y a un rōnin que j’essaie de retrouver
depuis environ un an ; or, j’ai entendu dire que de nombreux rōnins se
sont rassemblés à Nara ces temps-ci ; aussi ai-je l’intention de m’y
rendre, tout en reconnaissant que cette rumeur n’est pas une indication bien
solide.
Ils arrivaient au pont d’Uji. Sous
l’auvent d’une maison de thé, un vieillard très digne, portant une grosse
théière, servait ses clients, assis autour de lui sur des tabourets. Ayant
aperçu Shōda, il l’accueillit chaleureusement.
— Quel plaisir, de voir
quelqu’un de la Maison de Yagyū ! s’exclama-t-il. Entrez donc !
Entrez donc !
— Nous voudrions seulement
nous reposer un peu. Voudriez-vous apporter à cet enfant des gâteaux ?
Jōtarō demeura debout
tandis que ses compagnons s’asseyaient. A ses yeux, s’asseoir pour se reposer
était synonyme d’ennui ; une fois les gâteaux arrivés, il s’en empara et
grimpa sur la petite colline qui se dressait derrière la maison de thé.
Otsū, tout en buvant son thé,
demanda au vieux :
— Nara est encore loin ?
— Oui. Même en marchant vite,
vous n’iriez sans doute pas plus loin que Kizu avant le coucher du soleil. Une
jeune fille comme vous devrait passer la nuit à Taga ou à Ide.
Shōda prit aussitôt la
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