La pierre et le sabre
grognement
négatif.
— ... Eh bien, était-ce un
tube de bambou d’environ un pied de long, attaché à une ficelle ?
Jōtarō sursauta.
— Oui ! Comment le
savez-vous ?
— Alors, c’était après toi
que les cochers criaient, près du Mampukuji, parce que tu taquinais leur cheval !
— Euh... eh bien...
— Quand tu as pris peur et
que tu t’es enfui, le cordon doit s’être cassé. Le tube est tombé sur la route,
et le samouraï qui parlait aux cochers l’a ramassé. Pourquoi ne retournerais-tu
pas le lui demander ?
— Vous êtes sûre ?
— Oui, naturellement.
— Merci.
A peine s’éloignait-il en courant
que la jeune femme le rappelait :
— Attends ! Inutile de
revenir sur tes pas. Je vois le samouraï qui s’approche. Celui qui est dans le
champ hakama .
Elle désignait l’homme.
Jōtarō s’arrêta pour
attendre, les yeux écarquillés.
Le samouraï était un homme
impressionnant d’une quarantaine d’années. Tout chez lui était un peu plus
grand que nature : sa taille, sa barbe d’un noir de jais, ses larges
épaules, son torse massif. Il portait des socques de cuir et des sandales de
paille ; ses pas fermes avaient l’air de tasser la terre. Jōtarō,
sûr au premier coup d’œil qu’il s’agissait d’un grand guerrier au service de l’un
des plus éminents daimyōs, fut trop effrayé pour lui adresser la parole.
Heureusement, le samouraï parla le
premier ; il appela l’enfant :
— Ce n’est pas toi, le
polisson qui a laissé tomber ce tube de bambou devant le Mampukuji ?
demanda-t-il.
— Oh ! c’est lui !
Vous l’avez trouvé !
— Tu ne sais donc pas dire
merci ?
— Pardon. Merci, monsieur.
— Je crois bien qu’il
renferme une lettre importante. Quand ton maître t’envoie en mission, tu ne
devrais pas t’arrêter en chemin pour taquiner les chevaux, voyager clandestinement
sur des chariots, ou baguenauder au bord de la route.
— Oui, monsieur. Avez-vous
regardé à l’intérieur, monsieur ?
— Quand on a trouvé quelque
chose, il est tout naturel de l’examiner pour le rendre à son propriétaire ;
mais je n’ai pas décacheté la lettre. Maintenant que tu l’as récupérée, il faut
vérifier que tout est en ordre.
Jōtarō enleva le
capuchon du tube, et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Satisfait d’y voir la
lettre, il suspendit le tube à son cou et se jura de ne pas le perdre une
deuxième fois.
La jeune femme avait l’air aussi
contente que Jōtarō.
— C’était bien aimable à
vous, monsieur, dit-elle au samouraï pour essayer de compenser l’incapacité de Jōtarō
à s’exprimer comme il fallait.
Le samouraï barbu se mit à
cheminer avec les deux autres.
— L’enfant vous accompagne ?
demanda-t-il à la jeune femme.
— Oh ! non. Je ne l’avais
jamais vu de ma vie.
Le samouraï se mit à rire.
— Je me disais aussi que vous
faisiez une drôle de paire. C’est un drôle de petit diable, non... « chambres
meublées » écrit sur son chapeau, et le reste ?
— Peut-être que c’est son
innocence d’enfant qui est si charmante. Je l’aime bien, moi aussi.
Se tournant vers Jōtarō,
elle demanda :
— ... Où vas-tu ?
Jōtarō, qui marchait
entre eux deux, avait recouvré son excellente humeur.
— Moi ? Je vais à Nara,
au Hōzōin.
Un long objet étroit, enveloppé
dans du brocart d’or et niché dans l’obi de la jeune fille, appela son attention.
Le regardant, il dit :
— ... Je vois que vous avez
un tube à lettre, vous aussi. Attention de ne pas le perdre.
— Un tube à lettre ? Que
veux-tu dire ?
— Là, dans votre obi.
Elle rit.
— Ce n’est pas un tube à
lettre, petit sot ! C’est une flûte.
— Une flûte ?
Les yeux brillants de curiosité, Jōtarō
rapprocha sans vergogne sa tête afin d’examiner l’objet. Soudain, un étrange
sentiment s’empara de lui. Il recula, et parut regarder attentivement la jeune
fille.
Même les enfants ont le sens de la
beauté féminine ; du moins comprennent-ils d’instinct si une femme est
pure ou non. Jōtarō fut impressionné par le charme de celle-ci, et le
respecta. Qu’il pût accompagner une aussi jolie personne lui parut un coup de
chance inimaginable. Son cœur battait ; il se sentait tout étourdi.
— ... Je vois. Une flûte...
Vous jouez de la flûte, Tantine ? demanda-t-il.
Puis, se rappelant tout
naturellement la réaction d’Akemi à ce mot, il modifia
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