La pierre et le sabre
tabouret entre la mère et la fille, se
mit à tendre à Matahachi les objets, l’un après l’autre. Si Takezō n’avait
pas entendu l’histoire d’Akemi, la veille, il aurait été stupéfait de la
diversité des articles qu’il voyait maintenant.
Il savait que les deux femmes
pratiquaient depuis longtemps ce négoce ; il ne s’en étonnait pas moins de
tout ce qu’elles avaient accumulé. Il y avait là un poignard, un gland de
javelot, le bras d’une armure, un casque sans couronne, un autel en miniature
portatif, un rosaire bouddhiste, une hampe de drapeau... Il y avait même une
selle laquée, merveilleusement ciselée et abondamment décorée d’incrustations d’or,
d’argent et de nacre.
A travers l’ouverture du plafond,
Matahachi jeta un coup d’œil perplexe :
— C’est tout ?
— Non, il y a encore quelque
chose, dit Okō en s’élançant hors de la pièce.
Un instant plus tard, elle était
de retour avec un sabre en chêne noir, long de plus d’un mètre. Takezō se
mit en devoir de l’élever vers les bras tendus de Matahachi, mais le poids, la
courbure, l’équilibre parfait de cette arme lui firent une si profonde
impression qu’il fut incapable de s’en dessaisir.
Il se tourna vers Okō, l’air
gêné :
— Est-ce que je pourrais l’avoir ?
demanda-t-il, et ses yeux trahissaient une vulnérabilité nouvelle.
Il baissa le regard, comme pour
dire qu’il savait bien qu’il n’avait rien fait pour mériter le sabre.
— Vous le voulez vraiment ?
demanda-t-elle avec douceur, d’un ton maternel.
— Oh ! oui... oui !
Bien qu’elle ne dît pas vraiment
qu’il pouvait l’avoir, elle sourit, montrant une fossette, et Takezō sut
que le sabre était à lui. Matahachi descendit d’un bond du plafond, plein d’envie.
Il tripota le sabre avec convoitise, ce qui fit rire Okō.
— Voyez donc bouder ce petit
bonhomme, parce qu’il n’a pas reçu de cadeau !
Elle essaya de l’apaiser en lui
donnant une belle bourse de cuir, ornée de billes d’agate. Cela ne parut pas
faire grand plaisir à Matahachi. Ses yeux retournaient sans cesse au sabre en
chêne noir. Il était vexé, et la bourse ne parvint guère à atténuer la blessure
de son amour-propre.
Du vivant de son époux, Okō
avait pris l’habitude, à ce qu’il semblait, de prendre chaque soir, sans se
presser, un bain très chaud, de se maquiller puis de boire un peu de saké.
Bref, elle passait aussi longtemps à sa toilette que la plus payée des geishas.
Ce n’était pas le genre de luxe que les gens du commun pouvaient se permettre,
mais elle y tenait et avait même appris à Akemi à suivre une routine identique,
bien que cela ennuyât la jeune fille, qui n’en comprenait pas la nécessité. Non
seulement Okō aimait à bien vivre, mais elle était résolue à rester jeune
éternellement.
Ce soir-là, tandis qu’ils étaient
assis au coin du feu, Okō versa à Matahachi son saké, et tenta de
convaincre Takezō d’en prendre aussi. Comme il refusait, elle lui mit la
coupe dans la main, le saisit par le poignet, et le força à la porter à ses
lèvres.
— Un homme doit être capable
de boire, le gronda-t-elle. Si vous n’y arrivez pas seul, je vous aiderai.
De temps à autre, Matahachi la
regardait avec gêne. Okō, consciente de son regard, se fit plus familière
encore avec Takezō. Lui posant par jeu la main sur le genou, elle se mit à
fredonner une chanson d’amour populaire.
Cette fois, c’en était trop pour
Matahachi. Se tournant soudain vers Takezō, il explosa :
— Il va falloir nous en aller
bientôt !
Cela produisit l’effet désiré :
— Mais... mais... où
iriez-vous ? bégaya Okō.
— Nous rentrerions à
Miyamoto. Ma mère est là-bas, ainsi que ma fiancée.
Momentanément prise de court, Okō
fut prompte à recouvrer son sang-froid. Ses yeux se rétrécirent à la dimension
de fentes, son sourire se figea, sa voix devint aigre.
— En ce cas, veuillez
accepter mes excuses de vous retarder, de vous recevoir et de vous donner un
foyer. Si une jeune fille vous attend, dépêchez-vous de rentrer. Loin de moi la
pensée de vous retenir !
Ayant reçu le sabre en chêne noir,
Takezō ne le quitta plus. Le simple fait de le tenir en main lui causait
un plaisir indescriptible. Souvent, il en serrait fortement la poignée, ou bien
en passait le bord externe le long de sa paume à seule fin de sentir la
proportion parfaite de sa courbure. En
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