La pierre et le sabre
Temma ?
Il n’y a que vous qui ne le sachiez pas. Je suis peut-être la veuve d’un
pillard, mais je ne suis pas tombée assez bas pour batifoler avec l’assassin de
mon mari.
— Fallait que ça sorte, hein ?...
Pouvais pas t’en empêcher, eh ?
Avec un rire lugubre, il engloutit
d’un trait la coupe de saké, et s’en versa une autre.
— ... Tu sais, vraiment tu ne
devrais pas dire des choses pareilles. Ça n’est pas bon pour ta santé... ni
pour celle de ta jolie fille !
— J’élèverai Akemi comme il
faut, et, une fois qu’elle sera mariée, je m’occuperai de vous. Parole d’honneur !
Temma éclata de rire au point que
ses épaules et tout son corps en furent secoués comme de la gelée. Une fois qu’il
eut avalé tout le saké qu’il put trouver, il fit signe à l’un de ses hommes,
posté dans un angle de la cuisine, la lance à l’épaule.
— Toi, là-bas, tonna-t-il,
écarte donc quelques-unes des planches du plafond avec la pointe de ta lance !
L’homme s’exécuta. Comme il
faisait le tour de la pièce en sondant le plafond, le butin d’Okō se mit à
choir en grêle.
— Exactement ce que je
soupçonnais depuis le début, dit Temma en se levant avec lourdeur. Vous voyez,
les gars. Des preuves ! Elle a enfreint la règle, ça ne fait aucun doute.
Emmenez-la dehors, et administrez-lui son châtiment !
Les hommes se rapprochèrent de la
grande salle, mais soudain s’arrêtèrent. Okō, debout sur le seuil ainsi qu’une
statue, paraissait les mettre au défi de porter la main sur elle. Temma,
descendu dans la cuisine, cria impatiemment :
— ... Qu’est-ce que vous
attendez ? Amenez-la par ici !
Rien ne se produisit. Okō
regardait toujours les hommes de haut en bas, et ils restaient comme paralysés.
Temma résolut de prendre la relève. Claquant la langue, il se dirigea vers Okō,
mais lui aussi s’arrêta court en face du seuil. Debout derrière Okō, non
visibles de la cuisine, il y avait deux jeunes hommes d’aspect farouche. Takezō
tenait bas le sabre de bois, en position pour briser les tibias du premier
arrivant et de tout autre qui aurait la stupidité de le suivre. De l’autre côté
se trouvait Matahachi brandissant un sabre, prêt à l’abattre sur la première
nuque qui se risquerait à franchir le seuil. Akemi demeurait invisible.
— ... Alors, c’est donc ça,
gémit Temma, en se rappelant soudain la scène à flanc de montagne. J’ai vu
celui-là se promener l’autre jour avec Akemi... celui qui tient le bâton. Qui
est l’autre ?
Ni Matahachi ni Takezō ne
soufflèrent mot, indiquant nettement qu’ils entendaient répondre avec leurs
armes. La tension monta.
— ... Je ne sache pas qu’il y
ait des hommes dans cette maison ! rugit Temma. Vous deux... Vous devez
être de Sekigahara ! Vous avez intérêt à faire attention... je vous en
avertis.
Aucun des deux ne bougea un
muscle.
— ... Tout le monde, dans la
région, connaît le nom de Tsujikazé Temma ! Je vous montrerai ce que nous
faisons aux traînards !
Silence. Temma, d’un geste, écarta
ses hommes. L’un d’eux recula droit dans le foyer, au milieu de la salle. Il
émit un cri aigu, et tomba dedans, envoyant une gerbe d’étincelles du petit
bois enflammé jusqu’au plafond ; en quelques secondes, la salle se remplit
de fumée.
— Ahhhh !
Comme Temma s’élançait dans la
pièce, Matahachi abattit des deux mains son sabre, mais son aîné fut trop
rapide pour lui, et le coup rebondit sur l’extrémité du fourreau de Temma. Okō
s’était réfugiée dans l’angle le plus proche tandis que Takezō attendait,
son sabre en chêne noir tenu horizontalement. Il visa Temma aux jambes, et
balança l’arme de toutes ses forces. Le gourdin siffla dans les ténèbres, mais
on n’entendit point de choc. Cette brute avait réussi à sauter juste à temps,
et en retombant se jeta sur Takezō avec la force d’une catapulte.
Takezō eut l’impression de se
trouver aux prises avec un ours. Jamais il ne s’était battu avec un homme aussi
fort. Temma le saisit à la gorge, et lui asséna deux ou trois coups qui lui
firent croire que son crâne allait éclater. Puis Takezō trouva son second
souffle, et envoya Temma voler dans les airs. Il atterrit contre le mur,
ébranlant la maison et tout ce qu’elle contenait. Alors que Takezō levait
le sabre de bois pour l’abattre sur la tête de Temma, le pillard roula sur
lui-même, bondit sur ses pieds et
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