La pierre et le sabre
naseaux.
Matahachi s’étira, bâilla et déclara qu’il avait fort bien dormi.
— Le soleil est déjà bien
haut, dit Takezō.
— Tu crois que c’est l’après-midi ?
— Ça se pourrait bien !
Après un profond sommeil, les
événements de la nuit précédente étaient presque oubliés. Pour ces deux-là,
seuls existaient aujourd’hui et demain.
Takezō courut derrière la
maison, et se mit torse nu. Accroupi au bord du clair et frais ruisseau de
montagne, il s’aspergea d’eau le visage et les cheveux, se lava la poitrine et
le dos. Levant la tête, il prit plusieurs inspirations profondes, comme pour
essayer de boire la clarté solaire et tout l’air du ciel, Matahachi, encore
ensommeillé, se rendit à la grande salle où il souhaita joyeusement le bonjour
à Okō et Akemi.
— Comment ? Pourquoi les
deux charmantes dames font-elles des têtes d’enterrement ?
— Nous faisons des têtes d’enterrement ?
— Oui-da. Vous avez toutes
deux l’air de veiller un mort. Pourquoi être tristes ? Nous avons tué l’assassin
de votre mari, et administré à ses acolytes une raclée qu’ils n’oublieront pas
de si tôt.
La surprise de Matahachi s’expliquait.
Il croyait que la veuve et sa fille jubileraient à la nouvelle de la mort de
Temma. Certes, la nuit précédente, Akemi avait battu des mains de joie en l’apprenant.
Mais Okō, dès le départ, avait paru mal à l’aise, et aujourd’hui,
misérablement avachie auprès du feu, c’était pis encore.
— ... Qu’est-ce qui vous
arrive ? lui demanda-t-il, car il la trouvait la femme la plus difficile à
satisfaire qui fût au monde.
« Quelle ingratitude ! »
se dit-il en prenant le thé amer qu’Akemi lui avait versé, et en s’asseyant sur
ses talons.
Okō eut un pâle sourire :
elle enviait ces jeunes qui ne savent rien de la vie.
— Matahachi, dit-elle d’un
ton las, vous n’avez pas l’air de comprendre. Temma avait des centaines de
partisans.
— Bien entendu. C’est
toujours le cas pour les fripouilles de son genre. Ceux qui suivent des gens
comme lui ne nous font pas peur. Si nous avons été capables de le tuer,
pourquoi aurions-nous peur de ses subalternes ? S’ils nous cherchent, Takezō
et moi nous contenterons de...
— De ne rien faire !
interrompit Okō.
Matahachi bomba le torse en
déclarant :
— Qui dit cela ?
Amenez-en autant qu’il vous plaira ! Ce ne sont là qu’un tas de
vermisseaux. Ou alors pensez-vous que nous sommes des lâches, Takezō et
moi, des lâches tout juste capables de fuir en rampant ? Pour qui nous
prenez-vous ?
— Vous n’êtes pas des lâches,
mais des enfants ! Même à mon égard. Temma a un frère cadet nommé
Tsujikazé Kōhei, et si lui se met à votre poursuite, vous deux
fondus en un seul n’auriez pas la moindre chance !
Ce n’était pas le genre de propos
que Matahachi tenait spécialement à entendre, mais comme elle poursuivait, il
se prit à songer que peut-être elle avait raison. Tsujikazé Kōhei semblait
avoir une bande nombreuse de partisans autour de Yasugawa, à Kiso ; plus :
expert dans les arts martiaux, il excellait à prendre les gens par surprise.
Jusqu’alors, aucun de ceux que Kōhei s’était publiquement proposé de
trucider n’était mort de mort naturelle. Dans l’esprit de Matahachi, c’était
une chose que d’être attaqué ouvertement ; c’en était une tout autre que d’être
surpris en plein sommeil.
— Chez moi, c’est un point
faible, reconnut-il. Je dors comme une souche.
Tandis qu’il restait assis là, le
menton dans la main, à réfléchir, Okō en arriva à la conclusion qu’il n’y
avait rien d’autre à faire qu’à abandonner la maison et leur mode de vie actuel
pour s’en aller quelque part, au loin. Elle demanda à Matahachi ce que lui et Takezō
comptaient faire.
— Je vais en discuter avec
lui, répondit Matahachi. Je me demande où il est passé.
Il sortit et regarda partout, mais
Takezō n’était visible nulle part. Au bout d’un moment, il s’abrita les
yeux, regarda au loin vers les basses collines, et distingua Takezō qui
montait à cru le cheval égaré qui les avait réveillés par son hennissement.
« Il n’y a rien au monde qu’il
craigne », se dit Matahachi, envieux et bourru. Les mains en porte-voix,
il cria :
— Dis donc ! Reviens !
Nous avons à parler !
Un peu plus tard, étendus ensemble
dans l’herbe, mâchonnant des tiges, ils
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