La pierre et le sabre
pas de l’arrêter,
dit-elle inutilement à l’oncle Gon. Ça ne servirait à rien.
L’oncle Gon se tourna vers elle,
mais, au lieu de répondre, dit :
— Cette jeune fille, là-bas,
se comporte d’une bien drôle de façon. Attends-moi une minute !
Avant d’avoir terminé sa phrase,
il avait jeté son chapeau sous l’auvent de la boutique, et s’était élancé comme
une flèche en direction de l’eau.
— Espèce d’idiot ! cria
Osugi. Où vas-tu ? Matahachi est...
Elle partit à sa poursuite, mais,
à une vingtaine de mètres de la boutique, se prit le pied dans une touffe d’algues,
et tomba la tête la première. Elle se releva en maugréant, la face et les
épaules couvertes de sable. En revoyant l’oncle Gon, elle ouvrit des yeux
grands comme des soucoupes.
— ... Espèce de vieil
imbécile ! Où vas-tu ? As-tu perdu l’esprit ? glapissait-elle.
Si agitée qu’elle-même avait l’air
d’une folle, elle courut aussi vite qu’elle put sur les traces de l’oncle Gon.
Mais elle arriva trop tard. L’oncle Gon avait déjà de l’eau jusqu’aux genoux,
et continuait vers le large.
Environné d’écume blanche, on l’aurait
dit en transe. Encore plus au large, une jeune fille s’élançait vers les
profondeurs. Quand il l’avait remarquée d’abord, elle se tenait dans l’ombre
des pins et regardait la mer d’un air égaré ; puis soudain, elle avait
filé à travers le sable et s’était jetée à l’eau, ses cheveux noirs flottant
derrière elle. L’eau montait maintenant à mi-chemin de sa taille, et la jeune
fille approchait rapidement de l’endroit où le fond se dérobait soudain.
Tout en s’approchant d’elle, l’oncle
Gon l’appelait frénétiquement, mais elle pressa l’allure. Soudain, son corps
disparut dans un clapotis, en faisant des remous à la surface.
— Vous êtes folle, mon enfant !
criait l’oncle Gon. Avez-vous donc décidé de vous tuer ?
Alors, il disparut lui-même sous
la surface.
Osugi courait dans tous les sens
au bord de l’eau. Quand elle vit sombrer les deux baigneurs, ses cris se
transformèrent en stridents appels au secours. Agitant les bras, courant, trébuchant,
elle appelait à la rescousse les gens qui se trouvaient sur la plage comme s’ils
avaient été responsables de l’accident :
— Sauvez-les, bande d’idiots !
Vite, ou ils vont se noyer !
Quelques minutes plus tard, des
pêcheurs rapportèrent les corps et les couchèrent sur le sable.
— Un suicide passionnel ?
demanda quelqu’un.
— Vous plaisantez ! fit
un autre en éclatant de rire.
L’oncle Gon avait saisi l’obi de
la jeune fille, qu’il tenait encore, mais ni lui ni elle ne respiraient plus.
La jeune fille présentait un étrange aspect : sa chevelure avait beau être
emmêlée et souillée, l’eau ne lui avait enlevé ni sa poudre ni son rouge à
lèvres, et elle semblait vivante. Ses dents mordaient encore sa lèvre inférieure,
et sa bouche purpurine paraissait rire.
— Je l’ai déjà vue quelque
part, dit quelqu’un.
— Ce n’est pas la fille qui
cherchait des coquillages sur la plage, tout à l’heure ?
— Oui, c’est bien ça !
Elle habitait l’auberge, là-bas.
Venus de l’auberge, quatre ou cinq
hommes s’approchaient déjà ; parmi eux, Seijūrō haletant se
fraya un chemin à travers la foule.
— Akemi ! cria-t-il.
Il pâlit, mais garda une
immobilité de statue.
— C’est une amie à vous ?
demanda l’un des pêcheurs.
— Ou-ou-oui.
— Vous feriez mieux d’essayer
de la ranimer en vitesse !
— Pouvons-nous la sauver ?
— Pas si vous vous contentez
de rester là, à bayer aux corneilles !
Les pêcheurs desserrèrent les
doigts de l’oncle Gon, étendirent les corps côte à côte, les claquèrent dans le
dos et leur pressèrent l’abdomen. Akemi se remit assez vite à respirer, et Seijūrō,
soucieux d’échapper aux regards des badauds, la fit ramener par les hommes de l’auberge.
— Oncle Gon ! Oncle Gon !
Osugi, la bouche contre l’oreille
du vieil homme, l’appelait à travers ses larmes. Akemi était revenue à la vie
parce qu’elle était jeune, mais l’oncle Gon... Non seulement il était vieux
mais, avant de partir à la rescousse, il avait avalé une bonne dose de saké.
Jamais plus il ne respirerait ; Osugi aurait beau le supplier, ses yeux ne
s’ouvriraient plus.
Les pêcheurs renoncèrent et dirent :
— Le vieux a passé.
Osugi cessa
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