La pierre et le sabre
la jeune fille. Elle était tentée de croire qu’il n’existait
que pour lui gâcher sa jeunesse. Quand il l’importunait avec ses protestations
d’amour, elle se consolait en pensant à Musashi. Mais si la présence de Musashi
dans son cœur était parfois son salut, elle constituait aussi une fréquente
source de souffrance, car elle lui donnait l’envie de fuir dans un monde de
rêves. Pourtant, elle hésitait à s’abandonner tout à fait à son imagination,
sachant qu’il était vraisemblable que Musashi l’avait totalement oubliée.
« Oh ! s’il existait un
moyen quelconque d’effacer son visage de mon esprit ! » se
disait-elle.
L’eau bleue de la mer Intérieure
parut soudain tentante. La regardant fixement, elle prit peur. Comme il serait
facile de s’y jeter, et de disparaître !
Sa mère ignorait totalement qu’Akemi
nourrissait des idées aussi désespérées, Seijūrō plus encore. Tout
son entourage la considérait comme une jeune fille très heureuse, un peu étourdie
peut-être, mais néanmoins un bouton encore si loin de s’épanouir qu’il lui
était impossible d’accepter l’amour d’un homme.
Pour Akemi, sa mère et les hommes
qui venaient à la maison de thé se trouvaient à l’extérieur d’elle-même. En
leur présence elle riait, plaisantait, faisait tinter sa clochette et boudait
suivant que l’occasion paraissait l’exiger ; mais quand elle était seule,
elle soupirait, soucieuse et morose.
Ses pensées furent interrompues
par un serviteur venu de l’auberge. L’ayant reconnue auprès de l’inscription
dans la pierre, il courut vers elle et lui dit :
— Où donc étiez-vous, ma
jeune dame ? Le Jeune Maître vous cherche, et s’inquiète beaucoup.
De retour à l’auberge, Akemi
trouva Seijūrō tout seul ; il se réchauffait les mains sous la
couverture rouge du kotatsu . La pièce était silencieuse. Au jardin, la
brise faisait bruire les pins desséchés.
— Vous êtes sortie par ce
froid ? demanda-t-il.
— Que voulez-vous dire ?
je ne trouve pas qu’il fasse froid. Sur la plage, il y a beaucoup de soleil.
— Que faisiez-vous ?
— Je cherchais des
coquillages.
— Vous vous conduisez comme
une enfant.
— Je suis une enfant.
— Quel âge croyez-vous donc
que vous aurez lors de votre prochain anniversaire ?
— Quelle importance ? Je
suis encore une enfant. Quel mal y a-t-il à cela ?
— Beaucoup de mal. Vous
devriez penser aux projets que fait votre mère à votre sujet.
— Ma mère ? Elle ne
pense pas à moi. Elle se croit encore jeune elle-même.
— Asseyez-vous ici.
— Je ne veux pas. J’aurais
trop chaud. Je suis encore jeune, souvenez-vous-en.
— Akemi !
Il lui saisit le poignet et l’attira
vers lui.
— ... Nous sommes seuls ici,
aujourd’hui. Votre mère a eu la délicatesse de retourner à Kyoto.
Akemi regarda les yeux brûlants de
Seijūrō ; son corps se raidit. Elle tenta inconsciemment de se
dégager, mais il lui serrait le poignet avec force.
— ... Pourquoi donc
essayez-vous de fuir ? demanda-t-il, accusateur.
— Je n’essaie pas de fuir.
— Il n’y a personne ici, en
ce moment. L’occasion est idéale, vous ne croyez pas, Akemi ?
— L’occasion de quoi ?
— Ne soyez pas aussi entêtée !
Voilà près d’un an que nous nous voyons. Vous connaissez mes sentiments pour
vous. Voilà belle lurette qu’Okō nous a donné son autorisation. Elle dit
que vous refusez de me céder parce que je m’y prends mal. Aussi, aujourd’hui...
— Cessez ! Lâchez mon
bras ! Lâchez-le, vous dis-je !
Soudain, Akemi se pencha et baissa
la tête, gênée.
— Vous ne voulez pas de moi,
quoi qu’il arrive ?
— Arrêtez ! Lâchez-moi !
Bien que son bras serré eût rougi,
il refusait toujours de la libérer, et la jeune fille n’était guère de force à
résister aux techniques militaires du style Kyōhachi.
Ce jour-là, Seijūrō n’était
pas le même que d’habitude. Il cherchait souvent réconfort et consolation dans
le saké, mais ce jour-là il n’avait pas bu.
— Pourquoi me traitez-vous de
cette façon, Akemi ? Cherchez-vous à m’humilier ?
— Je ne veux pas parler de ça !
Si vous ne me lâchez pas, je crie !
— Criez tant qu’il vous plaira !
Personne ne vous entendra. La maison principale est trop éloignée, et de toute
façon je leur ai dit qu’il ne fallait pas nous déranger.
— Je veux m’en aller.
— Je vous en
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