La pierre et le sabre
de pleurer juste le
temps de se retourner contre eux comme s’il se fût agi d’ennemis et non de gens
qui tentaient de l’aider.
— Que voulez-vous dire ?
Pourquoi mourrait-il alors que cette jeune fille a été sauvée ?
Elle paraissait prête à les
attaquer physiquement. Elle écarta les hommes en déclarant avec fermeté :
— ... Je le ramènerai
moi-même à la vie ! Je vais vous montrer.
Elle se mit à l’ouvrage en
essayant sur l’oncle Gon toutes les méthodes imaginables. Sa détermination tira
des larmes aux spectateurs, dont quelques-uns restèrent pour l’aider. Mais loin
de leur en savoir gré, elle les commandait comme des domestiques, se plaignait
qu’ils n’appuyaient pas comme il fallait, leur déclarait que ce qu’ils faisaient
ne servirait à rien, leur ordonnait de préparer du feu, les envoyait chercher
des médicaments. Tout ce qu’elle faisait, elle le faisait de la manière la plus
revêche que l’on pût imaginer.
Pour les hommes de la plage elle n’était
ni une parente ni une amie, mais seulement une inconnue, et à la fin même les
plus apitoyés se fâchèrent.
— A propos, d’où sort cette
vieille sorcière ? grogna l’un.
— Elle ne voit pas la
différence entre l’inconscience et la mort. Si elle est capable de le ranimer,
qu’elle le fasse.
Bientôt, Osugi se trouva seule
avec le corps. Dans l’obscurité grandissante, une brume s’éleva de la mer, et
il ne resta plus du jour qu’une bande de nuées orange à l’horizon. Osugi fit du
feu et s’assit à côté, serrant contre elle le corps de l’oncle Gon.
— Oncle Gon... Oh !
oncle Gon ! gémissait-elle.
Les vagues s’assombrissaient. Elle
essayait sans relâche de ramener la chaleur dans son corps. Son visage
exprimait qu’elle s’attendait à tout instant à le voir ouvrir la bouche afin de
lui parler. Elle mâchait des pilules tirées de la boîte de pharmacie de l’obi d’oncle
Gon, puis les lui introduisait dans la bouche. Elle le serrait contre elle et
le berçait.
— ... Ouvre les yeux, oncle
Gon ! suppliait-elle. Dis quelque chose ! Tu ne peux pas partir et me
laisser seule. Nous n’avons pas encore tué Musashi ni puni cette drôlesse d’Otsū.
A l’auberge, Akemi s’agitait dans
son sommeil. Quand Seijūrō tentait de replacer sur l’oreiller sa tête
fiévreuse, elle marmonnait dans son délire. Quelque temps, il resta assis à son
chevet dans une immobilité complète, le visage plus pâle que le sien. Devant la
torture que lui-même lui avait infligée, il souffrait aussi.
C’était lui-même qui, de force, s’était
emparé d’elle pour satisfaire ses propres désirs. Maintenant, assis à côté d’elle,
grave et raide, il s’inquiétait de son pouls et de sa respiration, priait pour
que la vie qui l’avait un moment quittée lui revînt tout à fait. En une seule
et brève journée, il avait été à la fois une bête et un homme compatissant.
Mais aux yeux de Seijūrō, enclin aux extrêmes, sa conduite ne
paraissait pas inconséquente.
Son regard humble, triste, fixé
sur elle, il murmurait :
— Tâche de te calmer, Akemi.
Je ne suis pas le seul ; la plupart des autres hommes sont pareils... Tu
ne tarderas pas à le comprendre, bien que la violence de mon amour ait dû te choquer.
Ces paroles s’adressaient-elles en
réalité à la jeune fille, ou bien étaient-elles destinées à le tranquilliser
lui-même ? Il eût été malaisé d’en juger mais il ne cessait d’exprimer le
même sentiment.
Dans la chambre il faisait très
sombre. Le shoji tendu de papier assourdissait le bruit du vent et des vagues.
Akemi remua, et ses bras blancs se
glissèrent hors des couvertures. Quand Seijūrō essaya de replacer le
couvre-pieds, elle bredouilla :
— Qu... quel jour sommes-nous ?
— Comment ?
— Combien... combien de
jours... avant le Nouvel An ?
— Seulement sept jours,
maintenant. Tu seras guérie alors, et nous serons de retour à Kyoto.
Il inclina le visage vers elle,
mais elle le repoussa avec la paume de sa main.
— Arrête ! Va-t’en !
Je ne t’aime pas.
Elle recula mais les paroles à
demi démentes lui jaillissaient des lèvres :
— ... Imbécile ! Porc !
Seijūrō se taisait.
— ... Tu es un porc. Je ne...
je ne veux pas te voir.
— Pardonne-moi, Akemi, je t’en
prie !
— Va-t’en ! Ne m’adresse
pas la parole.
Sa main s’agitait nerveusement
dans le noir. Seijūrō avala
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