La pierre et le sabre
et tu me
fais attendre ! Se presser et attendre, se presser et attendre !
— Que faire d’un fils pareil ?
Quand on se rend dans un lieu saint, la simple convenance veut que l’on s’y
arrête pour prier les dieux. Je ne t’ai jamais vu t’incliner devant un dieu ou
un bouddha, et tu le regretteras plus tard, souviens-toi bien de mes paroles. D’autre
part, si tu priais avec nous, tu n’aurais pas à attendre aussi longtemps.
— Quel fléau ! grogna
Matahachi.
— De qui parles-tu ? s’écria
Osugi, indignée.
Les deux ou trois premiers jours,
tout n’avait été que miel entre eux ; mais une fois réhabitué à sa mère,
Matahachi se mit à trouver à redire à tous ses actes et à tous ses propos, à se
moquer d’elle à la moindre occasion. Le soir venu, quand ils rentraient à l’auberge,
elle le faisait asseoir en face d’elle pour le gratifier d’un sermon, ce qui ne
servait qu’à accroître sa mauvaise humeur.
« Quelle paire ! »
se lamentait l’oncle Gon à part soi, en tâchant d’imaginer un moyen d’apaiser
le ressentiment de la vieille dame, et de ramener un peu de calme sur le visage
renfrogné de son neveu. Devinant qu’un sermon de plus se préparait, il s’efforça
de le détourner :
— Oh ! s’exclama-t-il
avec enjouement, j’ai cru sentir quelque chose de bon ! L’on vend des
palourdes grillées dans cette maison de thé, là-bas, près de la plage. Allons
donc en déguster.
Ni la mère, ni le fils ne
manifestèrent beaucoup d’enthousiasme, mais l’oncle Gon parvint à les entraîner
à la guinguette abritée de minces stores de roseaux. Tandis que les deux autres
s’installaient sur un banc, dehors, il entra et revint avec du saké.
Il en offrit une coupe à Osugi en
disant avec amabilité :
— Voilà qui remontera un peu
le moral de Matahachi. Peut-être es-tu un peu trop dure envers lui.
Osugi détourna les yeux et
répliqua sèchement :
— Je ne veux rien boire.
L’oncle Gon, pris à son propre
piège, tendit la coupe à Matahachi qui, bien que toujours à rebrousse-poil,
entreprit d’en vider trois jarres aussi vite qu’il put, sachant parfaitement
que cela ferait blêmir sa mère. Lorsqu’il en demanda une quatrième à l’oncle
Gon, Osugi fut dans l’incapacité de se contenir plus longtemps.
— Assez ! gronda-t-elle.
Ce n’est pas un pique-nique, et nous ne sommes pas venus ici pour nous enivrer !
Et prends garde à toi aussi, oncle Gon ! Tu es plus vieux que Matahachi,
et devrais être plus raisonnable.
L’oncle Gon, aussi mortifié que si
lui seul avait bu, tenta de se cacher la figure en se passant les mains dessus.
— Oui, tu as parfaitement
raison, dit-il avec humilité.
Il se leva et s’éloigna de quelques
pas.
Alors, cela commença pour de bon
car Matahachi avait piqué au vif le violent, anxieux mais aigre sentiment
maternel d’Osugi, et il n’était pas question qu’elle attendît le retour à l’auberge.
Elle l’attaqua furieusement, sans se soucier d’être entendue par les autres
consommateurs. Jusqu’à ce qu’elle eût terminé, Matahachi la regarda fixement
avec une expression de désobéissance maussade.
— Très bien, dit-il. Si je
comprends bien, tu as décrété que je suis un ours ingrat et sans amour-propre.
Je me trompe ?
— Non ! Qu’as-tu fait
jusqu’à maintenant qui témoigne d’une fierté quelconque ?
— Mon Dieu, je ne suis pas
aussi bon à rien que tu parais le croire, mais comment le saurais-tu ?
— Comment le saurais-je ?
Eh bien, nul ne connaît un enfant mieux que ses parents, et je crois que le
jour où tu es né a été un jour noir pour la Maison de Hon’iden !
— Un peu de patience !
Je suis jeune encore. Un jour, quand tu seras morte et enterrée, tu regretteras
d’avoir dit ça.
— Ha ! que le ciel t’entende !
Mais je doute qu’en cent ans cela se produise. Quelle tristesse, quand on y
réfléchit !
— Eh bien, si tu es aussi
désolée d’avoir un fils tel que moi, à quoi bon rester davantage ? Je pars !
Ecumant de fureur, il se leva et s’éloigna
à longues enjambées résolues.
Prise de court, la vieille femme
essaya d’une voix tremblante et pitoyable de le rappeler. Matahachi n’en tint
aucun compte. L’oncle Gon, qui aurait pu courir pour tenter de l’arrêter,
restait debout à regarder intensément en direction de la mer, l’esprit
ailleurs, semblait-il. Osugi se leva puis se rassit.
— N’essaie
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