La pierre et le sabre
empêcherai.
— Mon corps ne vous
appartient pas !
— Croyez-vous ? Vous
feriez mieux d’interroger là-dessus votre mère ! Je l’ai certainement
assez payée pour cela.
— Eh bien, ma mère m’a
peut-être vendue, mais je ne me suis pas vendue moi-même ! Et sûrement pas
à un homme que je méprise plus que la Mort en personne !
— Qu’est-ce que j’entends ?
vociféra Seijūrō en lui jetant la couverture rouge sur la tête.
Akemi cria de toutes ses forces.
— Crie donc, espèce de garce !
Crie autant que tu voudras ! Personne ne viendra.
Sur le shoji la pâle clarté du
soleil se mêlait à l’ombre agitée des pins comme s’il ne s’était rien passé.
Dehors, tout se taisait sauf le clapotis lointain des vagues et le gazouillis
des oiseaux.
Aux gémissements étouffés d’Akemi
succéda un profond silence. Au bout d’un moment, Seijūrō, livide,
sortit dans le couloir ; de sa main droite il tenait sa main gauche,
griffée et sanglante.
Peu après, la porte s’ouvrit de
nouveau avec fracas, et Akemi sortit. Avec un cri de surprise, Seijūrō,
la main enveloppée maintenant d’une serviette de toilette, voulut l’arrêter,
mais trop tard. La jeune fille affolée s’enfuit à la vitesse de l’éclair. La contrariété
plissa le visage de Seijūrō mais il ne la poursuivit pas tandis qu’elle
traversait le jardin et gagnait une autre partie de l’auberge. Au bout d’un
moment, un mince et tortueux sourire apparut sur ses lèvres. C’était un sourire
de satisfaction profonde.
La mort d’un héros
— Oncle Gon !
— Quoi ?
— Tu es fatigué ?
— Oui, un peu.
— Je m’en doutais. Moi-même,
je n’en puis plus. Mais ce sanctuaire est magnifique, tu ne trouves pas ?
Dis donc, ce n’est pas là l’oranger que l’on nomme l’arbre secret de Wakamuya
Hachiman ?
— Ça m’en a tout l’air.
— On dit que c’est le premier
cadeau des quatre-vingts cargaisons offertes en tribut par le roi de Silla à l’impératrice
Jingū lorsqu’elle a conquis la Corée.
— Regarde, là-bas, dans l’écurie
des chevaux sacrés ! N’est-ce pas un bel animal ? Il arriverait
sûrement premier aux courses annuelles de Kamo.
— Tu veux parler du blanc ?
— Oui. Hum, que dit cette
pancarte !
— Elle dit que si tu fais
bouillir les lèves utilisées dans le fourrage des chevaux, et si tu en bois le
jus, cela t’empêchera de crier ou de grincer des dents la nuit. Tu en veux ?
L’oncle Gon éclata de rire.
— Quelle folie !
Se retournant, il demanda :
— ... Qu’est devenu Matahachi ?
— Il a dû s’égarer.
— Ah ! le voilà qui se
repose à côté du théâtre destiné aux danses sacrées.
La vieille dame leva la main et
cria à son fils :
— Si nous allons par là, nous
pourrons voir le Grand Torii d’origine ; mais allons d’abord à la Haute
Lanterne.
Matahachi suivit paresseusement.
Depuis l’instant où sa mère l’avait harponné à Osaka, il ne les avait plus
quittés – il avait marché, marché, marché. Il commençait à perdre patience.
Cinq ou dix jours à visiter les monuments, c’était peut-être bel et bon, mais
il redoutait d’avoir à les accompagner dans leur expédition punitive. Il avait
tenté de les convaincre que le fait de voyager ensemble était une mauvaise
façon de procéder, qu’il vaudrait mieux que lui-même partît de son côté à la recherche
de Musashi. Sa mère n’en voulut pas entendre parler.
— C’est bientôt le Nouvel An,
fit-elle observer. Et je veux que tu le passes avec moi. Voilà bien longtemps
que nous n’avons pas célébré ensemble la fête du Nouvel An, et il se peut que
ce soit notre dernière occasion.
Matahachi savait qu’il ne pouvait
le lui refuser ; mais il avait résolu de les quitter le surlendemain du
Premier de l’An. Osugi et l’oncle Gon, craignant peut-être de n’avoir pas longtemps
à vivre, étaient devenus si bigots qu’ils s’arrêtaient à tous les sanctuaires
ou temples imaginables, laissant des offrandes et faisant de longues
supplications aux dieux et aux bouddhas. Ils avaient passé presque toute cette
journée au sanctuaire de Sumiyoshi.
Matahachi, qui s’ennuyait ferme,
traînait les pieds et boudait.
— Tu ne peux donc pas avancer ?
demanda Osugi d’une voix irritée.
Matahachi n’accéléra point. Aussi
agacé par sa mère qu’elle l’était par lui, il grommela :
— Tu me presses,
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