La pierre et le sabre
trébuchait en avant, le jeune homme lui décocha un coup terrible.
De sa vie, Ryōhei n’avait vu coup aussi violent, et, bien qu’il réussît à
l’éviter de justesse, il plongea la tête la première dans la rizière située en
contrebas. Heureusement pour lui, la digue était assez basse et la rizière
gelée ; mais en tombant, il perdit à la fois son arme et sa confiance en lui.
Quand il eut réussi à regrimper
sur la digue, le jeune homme, se mouvant avec la force et la vitesse d’un tigre
enragé, dispersait les trois disciples d’un éclair de son épée, et se dirigeait
vers Seijūrō.
Jusque-là, celui-ci n’avait pas
éprouvé la moindre peur. Il avait cru que tout serait fini avant que lui-même
ne s’en mêlât. Mais voici que le péril s’élançait droit sur lui, sous la forme
d’une épée meurtrière.
Mû par une inspiration soudaine, Seijūrō
cria :
— Ganryū ! Attendez !
Il dégagea un pied de son étrier,
le posa sur la selle et se mit debout. Tandis que le cheval bondissait en avant
par-dessus la tête du jeune homme, Seijūrō volait en arrière et
atterrissait sur ses pieds, à environ trois pas de distance.
— Quel exploit ! s’exclama
le jeune homme avec une authentique admiration tout en marchant sur Seijūrō.
Même si vous êtes mon ennemi, c’était véritablement superbe ! Vous devez
être Seijūrō lui-même. En garde !
La lame de la longue épée devint l’incarnation
de l’esprit combatif du jeune homme. Menaçante, elle se rapprochait de plus en
plus de Seijūrō ; mais ce dernier, en dépit de tous ses défauts,
était fils de Kempō, et capable d’affronter sereinement le danger. S’adressant
au jeune homme avec assurance, il déclara :
— Vous êtes Sasaki Kojirō,
d’Iwakuni. Je le devine. Il est vrai, comme vous le supposez, que je suis
Yoshioka Seijūrō. Pourtant, je n’ai aucun désir de vous combattre. Si
c’est indispensable, nous pourrons en découdre à un autre moment. Pour l’instant,
j’aimerais seulement savoir ce qui s’est passé au juste. Lâchez votre épée.
Quand Seijūrō l’avait
nommé Ganryū, le jeune homme avait paru ne pas entendre ; maintenant,
être appelé Sasaki Kojirō le saisit.
— Comment saviez-vous qui je
suis ? demanda-t-il.
Seijūrō se frappa la
cuisse.
— Je m’en doutais !
Simple hypothèse, mais je suis tombé juste !
Alors, il s’avança et dit :
— ... Quel plaisir de vous
rencontrer ! J’ai beaucoup entendu parler de vous.
— Par qui ? demanda Kojirō.
— Par votre supérieur, Itō
Yagorō.
— Oh ! vous êtes un ami
à lui ?
— Oui. Jusqu’à l’automne
dernier, il avait un ermitage sur la colline de Kagura, à Shirakawa, où j’ai
souvent été le voir. Il est aussi venu chez moi nombre de fois.
Kojirō sourit.
— Eh bien, alors, ce n’est
pas tout à fait comme si nous nous rencontrions pour la première fois, vous ne
trouvez pas ?
— Non. Ittōsai parlait
de vous assez souvent. Il disait qu’il y avait un homme d’Iwakuni, nommé
Sasaki, qui avait appris le style de Toda Seigen, puis étudié auprès de
Kanemaki Jisai. Il me disait que ce Sasaki était le plus jeune élève de Jisai,
mais qu’il serait un jour le seul escrimeur capable d’affronter Ittōsai.
— Je ne vois toujours pas
comment vous m’avez reconnu aussi vite.
— Eh bien, vous êtes jeune,
et vous correspondez à la description. Vous voir marner cette longue épée m’a
rappelé que l’on vous appelle aussi Ganryū : « le saule au bord
de la rivière ». Quelque chose me disait que ce devait être vous, et j’avais
raison.
— Stupéfiant. Vraiment
stupéfiant.
Tandis qu’il riait de ravissement,
les yeux de Kojirō tombèrent sur son épée ensanglantée, qui lui rappela qu’il
y avait eu combat, et lui fit se demander comment ils arrangeraient tout cela.
Mais il se trouva que lui et Seijūrō s’entendirent si bien qu’ils en
arrivèrent bientôt à un accord, et qu’au bout de quelques minutes ils
longeaient la digue épaule contre épaule, comme de vieux amis. Derrière eux
venaient Ryōhei et les trois disciples découragés. Le petit groupe se
dirigea vers Kyoto. Kojirō disait :
— Dès le début, je n’ai rien
compris à la raison de ce combat. Je n’avais rien contre eux.
Seijūrō songeait à la
conduite récente de Gion Tōji.
— Tōji m’écœure,
disait-il. En rentrant, je lui demanderai des explications. Je vous en
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