La pierre et le sabre
marmonna que les seuls caractères remarquables de l’épée
semblaient être sa longueur et son aspect rectiligne. Le samouraï, l’air
offensé, se leva brusquement et demanda la direction du bac Temma-Kyoto.
— Je ferai remettre en état
mon épée à Kyoto, lança-t-il d’un ton sec. Tous les armuriers que j’ai vus à
Osaka semblent ne s’occuper que de camelote destinée aux simples soldats. Excusez-moi
de vous avoir dérangé.
Et il était parti, le regard de
glace.
L’histoire de l’apprenti les mit
dans une fureur d’autant plus noire qu’elle constituait une preuve nouvelle de
ce qu’ils considéraient déjà comme la suffisance excessive du jeune homme. Il
était clair à leurs yeux que le fait de couper le toupet de Gion Tōji
avait rendu ce fanfaron plus effronté que jamais.
— C’est notre homme !
— Maintenant, nous le tenons.
Ils continuèrent leur poursuite,
sans une seule fois s’arrêter pour se reposer, même quand le soleil commença à
décliner. Près du quai de Temma, l’un d’eux s’exclama, à propos du dernier
bateau de la journée :
— Nous l’avons manqué !
— Pas possible !
— Qu’est-ce qui te fait
croire que nous l’avons manqué ? demanda un autre.
— Tu ne vois donc pas ?
Là-bas, dit le premier en désignant l’embarcadère. Les salons de thé sont en
train d’empiler leurs tabourets. Le bateau doit être déjà parti.
Durant un moment, tous restèrent
médusés, découragés. Puis une enquête leur apprit que le samouraï avait bien
pris le dernier bateau. On leur dit aussi que celui-ci venait de partir, et n’arriverait
pas avant un certain temps au prochain arrêt, Toyosaki. Les bateaux qui
remontaient le courant vers Kyoto étaient lents ; ils avaient amplement le
temps de l’attraper à Toyosaki sans même se presser.
Sachant cela, ils prirent leur
temps pour boire du thé, manger des gâteaux de riz et des bonbons avant de se
mettre à grimper d’un pas vif la route qui longeait le fleuve. Devant eux, ce
dernier ressemblait à un serpent d’argent qui s’éloignait en ondulant. Les
rivières Nakatsu et Temma se réunissaient pour former le Yodo, et près de ce
confluent une lumière clignotait au milieu du courant.
— C’est le bateau ! s’écria
l’un des hommes.
Tous les sept s’animèrent et
oublièrent bientôt le froid mordant. Dans les champs dénudés qui longeaient la
route, des joncs desséchés, couverts de givre, scintillaient comme de fins
sabres d’acier. Le vent était glacial.
Comme la distance qui les séparait
de la lumière flottante diminuait, ils purent voir le bateau fort distinctement ;
bientôt, l’un des hommes, sans réfléchir, cria :
— Hé, là-bas !
Ralentissez !
— Et pourquoi donc ?
répondit-on du bateau.
Ennuyés de s’être fait remarquer,
ses compagnons grondèrent l’indiscret. De toute façon, le bateau s’arrêtait au
débarcadère suivant ; c’était stupidité pure que de donner l’alerte. Pourtant,
maintenant que le mal était fait, chacun tomba d’accord que le mieux serait de
réclamer le passager séance tenante.
— Il est seul, et si nous ne
le provoquons pas tout de suite, il risque d’avoir des soupçons, de sauter
par-dessus bord et de s’échapper.
S’avançant à la même allure que le
bateau, ils appelèrent de nouveau ceux qui se trouvaient à bord. Une voix
autoritaire, sans aucun doute celle du capitaine, leur demanda ce qu’ils voulaient.
— Amenez le bateau à la berge !
— Quoi ? Vous êtes fous !
répondit le capitaine avec un gros rire.
— Accostez ici !
— Pas question.
— Alors, nous vous attendrons
au prochain arrêt. Nous avons un compte à régler avec un jeune homme que vous
avez à bord. Il porte une mèche sur le devant, et il a un singe. Dites-lui que
s’il a le moindre sens de l’honneur, il se montre. Et si vous le laissez
échapper, nous vous traînerons à terre, jusqu’au dernier.
— Capitaine, ne leur répondez
pas ! supplia un passager.
— Quoi qu’ils disent, n’en
tenez aucun compte, conseilla un autre. Continuons jusqu’à Moriguchi. Là, il y
a des gardes.
La plupart des passagers,
recroquevillés de frayeur, s’exprimaient à voix basse. Celui qui avait parlé si
cavalièrement aux samouraïs de la rive, quelques minutes plus tôt, restait coi
maintenant. Pour lui comme pour les autres, le salut consistait à maintenir le
bateau à distance de la berge.
Les sept
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