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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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sous elle, croisa les mains
dans son giron, et, avec une expression de belle-mère outragée, se lança dans
une tirade :
    — Qu’entends-je ?
Espérez-vous me faire croire que vous n’avez pas encore de ses nouvelles ?
Ne comprenez-vous pas que je suis la mère dont votre jeune vaurien a entraîné
le fils à la guerre ? Ignorez-vous que Matahachi est l’héritier et le
membre le plus important de la famille Hon’iden ? C’est votre frère qui a persuadé
mon fils d’aller se faire tuer. Si mon fils est mort, c’est votre frère qui l’a
tué, et s’il croit pouvoir impunément rentrer seul en rasant les murs...
    La vieille femme s’arrêta juste
assez pour reprendre haleine, et ses yeux se remirent à étinceler de rage :
    — ... Et vous ? Puisqu’il
saute aux yeux qu’il a eu l’indécence de rentrer seul, pourquoi vous, sa sœur
aînée, ne me l’avez-vous pas envoyé aussitôt ? Vous me dégoûtez l’un et l’autre,
à traiter une vieille femme avec un pareil irrespect. Pour qui me prenez-vous ?
    Ayant de nouveau repris son
souffle, elle continua de tempêter :
    — ... Si votre Takezō
est de retour, alors, ramenez-moi mon Matahachi. Si vous en êtes incapable, le
moins que vous puissiez faire est d’amener ce jeune démon ici même pour qu’il m’explique
ce qui est arrivé à mon bien-aimé fils, et où il se trouve – en cet
instant précis !
    — Comment voulez-vous que je
fasse ? Il n’est pas ici.
    — Mensonge éhonté ! cria
la vieille d’une voix suraiguë. Vous devez savoir où il est !
    — Mais je vous dis que non !
protesta Ogin.
    Sa voix tremblait, et ses yeux se
remplissaient de larmes. Elle se pencha en avant, souhaitant de toutes ses
forces que son père fût encore vivant.
    Soudain, à la porte qui s’ouvrait
sur la véranda, l’on entendit un craquement suivi d’un bruit de pas précipités.
    Les yeux d’Osugi lancèrent des
éclairs, et Otsū fit mine de se lever, mais on entendit ensuite un cri
épouvantable – aussi proche d’un hurlement d’animal que la voix
humaine est capable d’en pousser.
    Un homme cria :
    — Attrapez-le !
    Puis on entendit d’autres bruits
de pas, plusieurs autres, courir à travers la maison, accompagnés de
craquements de branchages et de froissements de bambou.
    — C’est Takezō !
cria Osugi.
    Se relevant d’un bond, elle
foudroya du regard Ogin agenouillée.
    — ... Je savais qu’il était
ici, dit-elle férocement. C’était aussi clair à mes yeux que le nez au milieu
du visage. J’ignore pourquoi vous avez tenté de me le cacher, mais dites-vous
bien que jamais je ne l’oublierai.
    Elle s’élança vers la porte, qu’elle
ouvrit avec fracas. Ce qu’elle vit à l’extérieur fit blêmir encore davantage
son pâle visage. Un jeune homme aux jambes cuirassées gisait sur le dos par
terre, manifestement mort, bien que le sang lui coulât encore des yeux et des
narines. A en juger par l’aspect de son crâne fracassé, on l’avait tué d’un
seul coup de sabre de bois.
    — ... Il y a là... il y a là
un homme... un homme mort ! bégaya-t-elle.
    Otsū apporta la lumière sur
la véranda, et rejoignit Osugi qui, frappée de terreur, regardait fixement le
cadavre. Ce n’était ni celui de Takezō ni celui de Matahachi mais celui d’un
samouraï que ni l’une ni l’autre ne reconnaissait.
    Osugi murmura :
    — ... Qui a bien pu faire ça ?
    Se tournant vivement vers Otsū,
elle dit :
    — ... Rentrons avant de nous
trouver mêlées à une sale affaire.
    Otsū ne pouvait se résoudre à
s’en aller. La vieille avait dit beaucoup de méchancetés. Il serait injuste
envers Ogin de partir avant d’avoir mis du baume sur ses blessures. Si Ogin
avait menti, Otsū estimait qu’elle devait sans nul doute avoir de bonnes
raisons pour cela. Croyant devoir s’attarder un peu afin de réconforter Ogin,
elle dit à Osugi qu’elle irait la retrouver plus tard.
    — A ton aise, répondit
sèchement Osugi en tournant les talons.
    Ogin lui proposa aimablement une
lanterne, mais Osugi refusa, intraitable et fière :
    — Apprenez que le chef de la
famille Hon’iden n’est pas encore assez gâteuse pour avoir besoin de lanterne.
    Elle releva les pans de son
kimono, quitta la demeure, et s’enfonça résolument dans la brume qui s’épaississait.
    Non loin de la maison, un homme
lui intima de s’arrêter. Il avait le sabre au clair, les bras et les jambes
protégées par une armure.

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