La pierre et le sabre
C’était de toute évidence un samouraï professionnel,
d’un type que l’on ne rencontrait pas d’ordinaire au village.
— Vous ne sortez pas de la
maison Shimmen ? demanda-t-il.
— Si, mais...
— Est-ce que vous faites
partie de la famille Shimmen ?
— Dieu m’en préserve !
aboya Osugi avec un geste de protestation. Je suis la maîtresse de la maison du
samouraï, de l’autre côté de la rivière.
— Vous voulez dire que vous
êtes la mère de Hon’iden Matahachi, qui est allé avec Shimmen Takezō à la
bataille de Sekigahara ?
— Mon Dieu, oui, mais mon
fils n’y est pas allé de son propre chef. Il y a été entraîné par ce jeune
démon.
— Quel jeune démon ?
— Ce... Takezō !
— Si je comprends bien, ce Takezō
n’a pas trop bonne réputation dans le village.
— Bonne réputation ?
Laissez-moi rire. On n’a jamais vu un voyou pareil ! Vous n’imaginez pas
les ennuis que nous avons eus chez moi depuis que mon fils s’est entiché de
lui.
— Il semble que votre fils soit
mort à Sekigahara. Je suis...
— Matahachi ! Mort ?
— Mon Dieu, à la vérité je n’en
suis pas certain ; mais peut-être que cela soulagera un peu votre chagrin
de savoir que je mettrai tout en œuvre pour vous aider à vous venger.
Osugi le considéra d’un œil
sceptique.
— Qui êtes-vous, au juste ?
— Je fais partie de la
garnison Tokugawa. Après la bataille, nous sommes venus au château de Himeji.
Sur l’ordre de mon seigneur, j’ai dressé une barrière à la frontière de la
province de Harima pour passer au crible tous ceux qui la franchissent. Ce Takezō,
de la maison là-bas – continua-t-il en la désignant –, a enfoncé
la barrière et s’est enfui vers Miyamoto. Nous l’avons poursuivi jusqu’ici. C’est
un vrai dur. Nous pensions qu’au bout de quelques jours de marche il
craquerait, mais nous ne lui avons pas encore remis la main dessus. Pourtant,
il ne peut pas continuer comme ça éternellement. Nous l’aurons.
Osugi approuvait du chef en
écoutant : elle comprenait maintenant pourquoi Takezō avait disparu
au Shippōji, et, fait plus important, qu’il n’était sans doute pas allé
chez lui puisque c’était le premier endroit que les soldats fouilleraient. En
même temps, comme il paraissait voyager seul, la fureur d’Osugi ne s’en
trouvait pas diminuée le moins du monde. Mais quant à la mort de Matahachi,
elle n’y pouvait croire non plus.
— Je sais bien, monsieur, que
Takezō est aussi fort et aussi rusé qu’une bête fauve, dit-elle d’un air
effarouché, mais je ne saurais croire que des samouraïs de votre envergure
aient la moindre difficulté à le capturer.
— Eh bien, en toute
franchise, c’est là ce que j’ai cru au premier abord. Mais nous sommes peu
nombreux, et il vient de tuer l’un de mes hommes.
— Permettez à une vieille
femme de vous donner un petit conseil.
Se penchant en avant, elle lui
chuchota quelque chose à l’oreille.
Ses paroles parurent lui faire un
immense plaisir. Il approuva de la tête, et s’écria avec enthousiasme :
— Bonne idée !
Magnifique !
— Ne faites pas les choses à
moitié, insista Osugi en prenant congé.
Peu de temps après, le samouraï
regroupa sa troupe de quatorze ou quinze hommes derrière la maison d’Ogin. Sur
son ordre ils franchirent le mur, entourèrent la maison et cernèrent toutes les
issues. Puis plusieurs soldats envahirent la maison, laissant des traces de
boue, et se rassemblèrent dans la pièce du centre où les deux jeunes femmes
étaient assises, gémissant et se tamponnant les yeux.
A la vue des soldats, Otsū
sursauta et pâlit. Mais Ogin, en fière fille de Munisai qu’elle était, garda
son sang-froid. Les yeux calmes et durs, elle considéra les intrus avec
indignation.
— Laquelle d’entre vous est
la sœur de Takezō ? demanda l’un d’eux.
— Moi, répondit Ogin avec
froideur, et j’exige de savoir pourquoi vous avez pénétré dans cette maison
sans autorisation. Je ne tolérerai pas un tel comportement de brutes dans une
maison occupée uniquement par des femmes.
Elle leur tenait tête.
L’homme qui avait bavardé avec Osugi
quelques minutes plus tôt désigna Ogin.
— Arrêtez-la !
ordonna-t-il.
A peine eut-il prononcé ces mots
que la maison se mit à trembler et que les lumières s’éteignirent. Poussant un
cri de terreur, Otsū gagna en trébuchant le jardin tandis qu’au moins
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