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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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temps immémoriaux, l’on
croyait dans cette région que le fait d’accrocher au mur ce poème d’inspiration
pratique était capable de vous protéger non seulement contre les insectes, mais
encore contre la maladie et contre la malchance. Otsū recopia la même
strophe des dizaines et des dizaines de fois... tant de fois, à la vérité, qu’elle
en eut mal au poignet, et que sa calligraphie se mit à refléter sa fatigue.
    S’étant arrêtée pour se reposer un
moment, elle cria à Takuan :
    — Cesse d’essayer de voler
ces gens ! Tu leur prends trop cher.
    — Je m’adresse à ceux qui ont
déjà trop d’argent. Il leur est devenu un fardeau. C’est charité pure que de
les en soulager, répliqua-t-il.
    — Selon ce raisonnement, les
vulgaires cambrioleurs sont des saints.
    Takuan était trop occupé à
recueillir les offrandes pour répondre.
    — Là, là, disait-il à la
foule qui se pressait. Ne poussez pas ; prenez votre temps ; chacun
son tour. Votre chance d’alléger votre bourse viendra assez tôt.
    — Dis donc, le prêtre !
cria un jeune homme auquel il avait reproché de jouer des coudes.
    — C’est à moi que tu parles ?
dit Takuan en désignant son propre nez.
    — Oui. Tu nous répètes sans
arrêt d’attendre notre tour, mais alors tu sers les femmes d’abord.
    — Les femmes me plaisent autant
qu’au voisin.
    — Tu dois être un de ces
moines paillards sur lesquels circulent tant d’histoires.
    — Assez, espèce de têtard !
Crois-tu que je ne sache pas pourquoi toi, tu es ici ? Tu n’es pas venu
pour honorer le Bouddha ni pour rapporter chez toi une formule magique. Tu es
venu pour regarder Otsū tout à ton aise ! Allons, allons, avoue... ce
n’est pas la vérité ? Tu n’arriveras à rien avec les femmes, tu sais, si
tu te conduis en avare.
    Le visage d’Otsū devint
écarlate.
    — Takuan, arrête !
Arrête immédiatement, ou je deviens folle !
    Pour se reposer les yeux, Otsū
les leva à nouveau de son ouvrage, et regarda au-dehors, par-dessus la foule.
Soudain, elle aperçut un visage, et laissa tomber avec fracas son pinceau. Elle
se leva d’un bond en manquant de renverser la table, mais le visage s’était
déjà évanoui comme un poisson disparaît dans la mer. Oublieuse de tout ce qui l’entourait,
elle s’élança vers la porte du temple en criant :
    — Takezō ! Takezō !
     
     
     
Le courroux de la
douairière
     
    La famille de Matahachi, les Hon’iden,
étaient les fiers membres d’un groupe de nobles ruraux qui appartenaient à la
classe des samouraïs mais travaillaient aussi la terre. Le véritable chef de la
famille était sa mère, une femme d’un incorrigible entêtement nommée Osugi. Bien
qu’elle approchât de la soixantaine, elle menait chaque jour aux champs sa
famille et son personnel, et travaillait aussi dur que n’importe lequel d’entre
eux. A l’époque des plantations, elle sarclait les champs, et, après la
moisson, battait l’orge en la foulant aux pieds. Quand le crépuscule la forçait
à cesser de travailler, elle trouvait toujours quelque chose à jeter sur son
dos courbé, et à rapporter à la maison. Souvent, c’était une charge de feuilles
de mûrier si grosse que son corps, presque plié en deux, était à peine visible
dessous. Le soir, on la trouvait d’ordinaire occupée à soigner ses vers à soie.
    L’après-midi de la fête des
fleurs, Osugi leva les yeux de son ouvrage dans le plan de mûriers pour voir
son petit-fils accourir pieds nus à travers champ.
    — D’où viens-tu, Heita ?
demanda-t-elle sans douceur. Du temple ?
    — Ouh-houh.
    — Otsū y était-elle ?
    — Oui, répondit-il, tout
excité, encore hors d’haleine. Et elle portait une très jolie obi. Elle aidait
pour la fête.
    — As-tu rapporté du thé doux
et un charme pour éloigner les insectes ?
    — Ounh-ounh.
    Les yeux de la vieille femme,
généralement cachés parmi les plis et les rides, s’ouvrirent tout grands d’irritation.
    — Et pourquoi non ?
    — Otsū m’a dit de ne pas
m’en soucier. Elle a dit que je devais rentrer droit à la maison en courant
pour te dire...
    — Me dire quoi ?
    — Takezō, de l’autre
côté de la rivière... Elle a dit qu’elle l’avait vu. A la fête.
    La voix d’Osugi baissa d’une
octave.
    — Vraiment ? Elle a
vraiment dit ça, Heita ?
    — Oui, grand-mère.
    Son robuste corps parut tout d’un
coup perdre son énergie, et ses yeux se

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